Mes héros toxiques #8

Cassel le conquérant

V’là que soudain tu réfléchis. Et que tu fais ce bilan : parmi tous les artistes que tu as écoutés, regardés et lus dans ta jeunesse, une grosse partie sont – malgré tout – des mecs. Pire : beaucoup ont des facettes toxiques. Ce mois-ci, on se questionne sur l’esprit de conquête de Vincent Cassel.
CQFD et Vanity Fair

T’avais la classe à l’époque où je t’ai découvert dans La Haine (1995). C’était quelques années après la sortie du film, qui s’était déjà imposé comme une référence pour beaucoup de jeunes. Comme s’il était dorénavant partout possible de s’accepter soi-même en survêt’-basket, la gueule atypique et le crâne à 3 mm, quoiqu’en disent nos daronnes et les autorités. Dans Doberman (1997), c’est les barrières morales que tu as questionnées. Et ça faisait du bien de se faire bousculer. Acteur de grand talent, tu ne t’es pas arrêté en si bon chemin pour nous déranger : Sheitan (2006), L’Instinct de mort (2008), Notre jour viendra (2010)… tu as incarné aussi bien les psychos, les dandys que les bad boys, toujours avec ce côté sanguin et indomptable. Quelque chose de libérateur et de conquérant… quitte à écraser ?

Lors des César – de la honte – 2020, l’actrice Aïssa Maïga a fait un discours sur le manque de diversité dans le cinéma français, constatant qu’il n’y avait que douze personnes non blanches dans le public. Et ajoutant : « J’en ai oublié un, c’est Vincent Cassel ! C’était toi le renoi du cinéma français avant la diversité ! Je te mets dans le quota, ça te va ou pas ? » Admiratrice de La Haine, elle faisait un clin d’œil à un prétendu allié qui a fini par représenter la banlieue à lui tout seul. La banlieue, tu en es pourtant loin, en tant que « fils de » dans un milieu intellectuel bourgeois parisien. C’est pas un problème en soi, on ne choisit pas. Le souci c’est quand la soif de conquête éclipse les autres, que tu viens à les incarner à leur place. « Dans #LaHaine ils étaient 3 : l’acteur arabe a dû s’expatrier pour faire carrière et l’acteur noir a disparu de nos écrans. Seul Cassel a percé et a donc endossé symboliquement ce rôle de mec de cité », explique Rokhaya Diallo sur X après la cérémonie. Ton ancien comparse avec qui tu t’es brouillé, Saïd Taghmaoui, dira sur Twitter que tu es « le plus hypocrite de tous… ! Sache-le ! »

La faute au cinéma français ? Peut-être. Mais cette « soif de conquête » semble aussi composer ta vie pas si privée. Que ce soit quand tu expliques en 2013 la «  jungle fever » de ta jeunesse, « attiré que par les femmes métisses ou noires », puis « spécialisé dans les filles asiatiques, et ensuite les petites rebeu parisiennes ». Dix ans plus tard, dans des propos « sortis de leur contexte, instrumentalisés » (dixit toi-même), tu affirmais : « Si les hommes deviennent trop vulnérables et féminins, on va avoir un problème », faisant un clin d’œil complice à l’influenceur masculiniste Andrew Tate – inculpé pour trafic d’êtres humains – qui tiendrait des propos «  réellement intéressant, parce qu’il veut défendre la masculinité ». Ou es-tu si impressionnant dans les rôles de pervers narcissiques et de durs à cuire parce que ton séduisant esprit de conquête a pour fondement une virilité en lutte pour sa survie ? Et si tu laissais ta place à d’autres, moins toxiques ?

Par Jonas Schnyder
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Cet article a été publié dans

CQFD n° 231 (juin 2024)

Dans ce numéro de juin, on écoute le vieux monde paniquer. On suit les luttes des personnes trans pour leurs droits, on célèbre la mort de Jean-Claude Gaudin, et on s’intéresse à la mémoire historique, avec l’autre 8 mai en Algérie. Mais aussi un petit tour sur la côte bretonne, des godes affichés au mur, de la danse de forêt et un aperçu de l’internationalisme anarchiste. Bonne lecture !

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