Dossier : Bastion social, tu perds ton sang froid
Petite histoire du Scalp : « Déterrer la hache de guerre » !
Toulouse, 6 juin 1984. La Section carrément anti-Le Pen (Scalp), lancée quelques semaines avant dans la ville rose, veut empêcher coûte que coûte un meeting de Jean-Marie le Borgne. À l’époque, le FN fait son entrée dans le jeu électoral. L’infâme passe même à la télé ! « Une fois Mitterrand élu, le FN est monté en flèche, se souvient Isabelle1. Le combat contre l’extrême droite ne tenait plus de la simple guéguerre entre étudiants et fachos. Le Scalp a alors été créé pour élargir la lutte, en dehors des orgas politiques. »
À Toulouse, où le terreau anti franquiste participe de la dynamique antifasciste, la mayonnaise prend. Après des semaines de mobilisation, 4 000 personnes répondent à l’invitation du Scalp à « déterrer la hache de guerre ». Une manif offensive. « Il s’agissait d’en découdre avec les fachos et les flics », résume Isabelle. Le Scalp se veut sexy et punchy. Et il se sent fort, ce 6 juin 1984. La veille, Gérard et ses copains ont fait péter la salle municipale dans laquelle doit se tenir le meeting2. Pour signature, des croix gammées accolées au mot « Porcs ». Suivront une quinzaine de plasticages anti-FN en un mois.
« Des manifs et des bastons »
Des Scalp voient ensuite le jour un peu partout. Mickaël, alors lycéen, intègre la section bordelaise : « Un Scalp “ première mouture ”, une sorte de tribu, marquée par la culture ‘‘ rock alternatif ’’ et assez agressive, car l’extrême droite locale était violente. » En bande-son, Les Bérus, « La jeunesse emmerde la Front national ». Mickaël en est : « Le Scalp, c’était la classe. Ça voulait tout dire en un seul mot qui claque ». Pour d’autres, le souvenir est plus amer : « Il y avait surtout des gars pleins de testostérone, des manifs et des bastons », regrette Isabelle. « En vrai, c’était très folklorique : avec nos looks, on faisait flipper les gens », rigole Aude, qui a traîné avec la section parisienne.
Dans certaines villes, la sauce prend bien. Comme à Nantes, où le Scalp possède un local, organise des réunions hebdomadaires et fédère large au sein de la jeunesse. Activisme tous azimuts : « Des forêts de Sherwood poussaient dans les halls de l’université, on pillait des buffets et on redistribuait, on faisait des happenings, on pratiquait l’occupation, se souvient Mickaël. À partir de 1994, on a mis le feu à Nantes, alors endormie. » Grâce à des copains paysans, du lisier de poules sert à baptiser le nouveau local du FN. Ou à attaquer un McDo, en solidarité avec les anti-OGM.
Se structurer pour durer
« Nous ne voulions pas nous limiter aux seules courses-poursuites avec les fachos, en confondant violence et radicalité, mais participer aux luttes des sans-papiers ou des chômeurs », clarifie Mickaël. Il s’agit d’attaquer le fascisme à la racine : occupations d’antennes Assedic, actions anti-expulsion dans les aéroports, grèves étudiantes des années 1994-1996, opposition aux anti-IVG, campagne « transports gratuits » avec les cheminots, réquisition de wagons pour voyager en Europe...
C’est dans ce cadre que le réseau No Pasaran voit le jour en 1993, fédérant une trentaine de groupe (en tête, les sections parisiennes et nantaises). Au programme, mutualisation du matériel de propagande et édition du mensuel No Pasaran et de la revue RéfleXes, qui traitent aussi du sécuritaire, des mouvements étudiants ou des banlieues. Un succès, même si certaines sections se contentent de « vendre la quincaillerie de No Pasaran dans les concerts », ironise Mickaël.
Las, le réseau s’étiole progressivement au long des années 2000. Avant d’annoncer finalement sa dissolution en 2013. Mais il peut – entre autres – se targuer d’avoir joué un rôle essentiel dans la formation de nombreux militants aujourd’hui investis dans les luttes anti carcérales, de soutien aux migrants ou de quartier. Il laisse aussi un héritage de pratiques d’actions directes, explique Aude : « Je venais d’une famille humaniste de gauche, c’est avec le Scalp que j’ai découvert la nécessité de la violence. Même si je regrette qu’elle ait parfois été la seule chose à nous rassembler... » Mickaël, lui, se fait plus lyrique : « J’ai découvert le frisson, l’autonomie, l’autogestion, l’engagement dans la durée, la camaraderie. Une lecture du monde qui ne m’a finalement jamais quitté. À tel point que je rêve parfois de recréer un Scalp... » Chiche.
1 Tous les prénoms ont été modifiés.
2 Voir le film Gérard et les Indiens, de Nicolas Réglat, production Le Lokal, 2017.
Cet article a été publié dans
CQFD n°164 (avril 2018)
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Paru dans CQFD n°164 (avril 2018)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Baptiste Alchourroun
Mis en ligne le 03.09.2018
Dans CQFD n°164 (avril 2018)
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