Occupation d’une église marseillaise

Pas de rentrée pour les jeunes exilés

Au mois de juillet, une cinquantaine de jeunes exilés mineurs ont occupé l’église Saint-Ferréol à Marseille. Un moyen pour eux d’avoir un toit sur la tête, mais aussi de dénoncer leur situation : considérés comme majeurs par le département, ils ne bénéficient d’aucune aide et sont livrés à eux-mêmes. Reportage.
Nicolas Filloquie

« Nous ne sommes pas un danger, nous sommes en danger », peut-on lire sur une banderole, accrochée à la devanture de l’église Saint-Ferréol, qui donne sur le Vieux-Port de Marseille. Ce samedi 13 juillet, une cinquantaine de jeunes exilés ont investi le lieu. Devant l’édifice, des militant·es dialoguent avec le diocèse, tandis qu’à l’intérieur, les jeunes s’organisent pour faire entendre leur voix. La banderole attire le regard des passant·es et intrigue la police, qui ralentit brièvement avant de poursuivre sa route. Elle reviendra le lendemain pour exiger que la banderole soit enlevée le temps du défilé du 14 juillet. D’un côté, les touristes profitent du cadre idyllique et se photographient sous le célèbre miroir du Vieux-Port ; de l’autre, ces jeunes, marginalisés et abandonnés par les institutions, mènent une lutte désespérée pour être reconnus pour ce qu’ils sont : des enfants qui ont besoin d’un toit.

Des jeunes dans un vide juridique 

« Ce sont les premiers à être venus dans notre pays, ils nous ont colonisés, et maintenant ils ne veulent plus de nous », confie Moussa*, un jeune rencontré devant l’église. Selon la Convention internationale des droits de l’enfant, les mineur·es isolé·es étranger·es ont les mêmes droits que les enfants français·es en danger et devraient donc être hébergé·es, accompagné·es et scolarisé·es au titre de la protection de l’enfance. Pourtant, comme Moussa, iels sont près de 3 500 en France à ne bénéficier d’aucun accompagnement et plus de 30 % sont contraint·es de vivre à la rue1. En effet, quels que soient les papiers d’identité présentés à leur arrivée en France, le département les évalue et leur attribue le statut de majeur·e ou de mineur·e. En 2023, 77 % sont évalué·es « majeurs ». Iels peuvent alors contester l’évaluation en saisissant un·e juge des enfants, avec l’aide d’un·e avocat·e. Pendant cette période de recours, pouvant aller jusqu’à 18 mois, ces « jeunes en recours » sont laissé·es pour compte par les institutions. L’occupation de l’église Saint-Ferréol est le cri de désespoir de ces enfants. Vivant à la rue, expulsés de squats ou ayant du quitter un logement solidaire à l’approche des vacances d’été, ces jeunes se sont rencontrés pour la plupart au GR1, un lieu ressource pour les jeunes exilés. Ils peuvent y venir manger, faire leur lessive, se reposer et bénéficier d’un accompagnement social et juridique.

À leur arrivée à Marseille, c’est l’Association Départementale pour le Développement des Actions de Prévention des Bouches-du-Rhône (Addap13) qui est chargée d’attester ou non de leur minorité. « Ils font semblant de nous évaluer, je l’ai vu dans leurs yeux, raconte Demba, un jeune rencontré au GR1. Ils savent déjà qu’ils diront que nous ne sommes pas mineurs, mais ils doivent respecter la procédure ». Lola, qui travaille au GR1 à leurs côtés, préconise : « Tant qu’il y a un doute sur l’âge d’une personne, il devrait y avoir une présomption de minorité et elle devrait être considérée comme mineure. » D’autant plus que de 50 à 80 % des recours aboutissent à une reconnaissance officielle de leur minorité2. Pour Bakari, « c’est une décision raciste. Ils veulent juste que ce temps d’attente nous décourage ». Privés d’hébergement et d’accompagnement, ces jeunes ont néanmoins droit à une scolarisation. Mais dans les faits, nombreux sont ceux qui n’y accèdent pas. Demba explique qu’il a du d’abord passer le test de niveau Casnav3 il y a trois mois et qu’il n’a toujours pas de retour, alors qu’il espérait pouvoir faire sa rentrée en septembre. Comme lui, d’autres jeunes attendent, certains depuis six mois, sans réponse. Ceux qui parviennent à s’inscrire peinent à suivre une scolarité normale : conditions d’hébergement souvent précaires, éloignements des écoles et absence d’espace adéquat pour étudier, rendent ainsi leur parcours scolaire difficile.

« On nous avait promis une maison »

Dès leur arrivée dans l’église, le diocèse alerte les institutions. La préfecture, représentée par deux travailleur·euses sociaux·les de l’association d’accueil Sara Logisol, vient une première fois le 18 juillet pour proposer des places d’hébergement en hôtel et en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Selon Lola, cette réactivité tient au contexte estival et touristique, ainsi qu’à l’ouverture des Jeux olympiques à Marseille, le 24 juillet. Les jeunes refusent ; les CHRS, ils n’y remettront pas un pied. Ils y sont mélangés à des adultes, souvent avec des problématiques d’addictions. Le lendemain, le ton n’est pas le même et le message est clair : soit vous acceptez, soit c’est la rue. Le diocèse, jusque-là solidaire, leur fait comprendre qu’il ne pourra pas permettre une occupation prolongée de l’église. « Ils se sont fait intimider », explique Lola. Les jeunes finissent par céder ; appelés deux par deux dans le bureau de l’église, ils sont répartis dans différentes structures d’hébergement. Seuls ceux présents ce jour-là obtiennent une place, laissant de côté les absents qui, pourtant, participaient à l’occupation depuis le début. « On nous avait promis une maison, où l’on pourrait bien dormir et manger », raconte Bakari, agacé. De plus, Sara Logisol s’est bien gardée de préciser que certains seraient envoyés à Vitrolles et à l’Estaque, des zones éloignées et inconnues pour ces jeunes, dont les rares repères se résument au centre-ville. De plus, selon les jeunes, ces hébergements sont insalubres et inadaptés. Bakari décrit le CHRS à Forbin : « Il n’y a que des fous, là-bas. Je ne peux pas dormir à cause des cafards, ça fait trois jours que je ne me douche pas à cause des coupures d’eau et les toilettes sont trop sales pour pouvoir les utiliser. » 

La lutte s’auto-organise !

Face à l’inaction des institutions, les collectifs militants qui défendent les droits de ces enfants soutiennent l’occupation de l’église. Des plannings sont établis pour que des bénévoles passent du temps avec les jeunes devant l’édifice, assis sous le soleil, jouant, discutant et partageant ensemble l’ennui. Une équipe cuisine au squat Le Manba ou au café-librairie Manifesten. La Réserve Citoyenne4, quant à elle, interpelle les élu·es en saturant leurs boîtes mail et distribue des tracts sur la situation des jeunes. Après l’évacuation de l’église, et malgré la dispersion des jeunes par la préfecture dans les divers centres d’hébergement (que certain·es considèrent comme délibérée), la solidarité continue. La plupart n’ont aucune solution pour manger dans leur centre. Alors les bénévoles passent les voir, les rassurent, leur apportent des repas. Certain·es ouvrent même leur porte, offrant un refuge temporaire à ceux restés à la rue. Aussi, en voulant répondre à tous leurs besoins, les militant·es occupent parfois trop d’espace. Lola souligne qu’« il y a souvent une dépendance matérielle qui se crée entre les jeunes et leurs soutiens, entraînant une dépolitisation du combat. Cela ne vient pas des jeunes, mais des soutiens qui, parfois, leur retirent leur autonomie. Il est donc essentiel de remettre leur lutte entre leurs mains ». Les jeunes s’en sont rendu compte : ils planifient la création d’un collectif et ont lancé un groupe WhatsApp réservé aux personnes directement concernées. Ils réfléchissent déjà à prendre le relais pour ceux qui n’ont plus la force de se battre. Lola reste convaincue que seuls les jeunes peuvent réellement faire bouger les choses. Bakari, quant à lui, est prêt à réoccuper un lieu si le groupe le décide et déclare avec détermination : « C’est par le nombre qu’on fait la force ! »

Par Julia Jallot

*Prénom modifié


1 Selon l’enquête de la Coordination nationale des jeunes exilés en danger : « Mineur·es non-accompagné·es refusé·es ou en recours de minorité », à lire sur utopia56.org (09/04/2024).

2 Ce chiffre varie en fonction des départements. Voir « Mineurs isolés étrangers : tout ce qu’il faut savoir », sur unicef.fr (2023).

3 Test préalable à la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivé·es en France.

4 Collectif marseillais créé à la veille des élections législatives du 30 juin 2024 en réaction à la montée de l’extrême droite en France.

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