Israël-Palestine
Pas de paix pour les Refuzniks
L’énième « relance du plan de paix » entre l’occupant israélien et son paillasson palestinien a de quoi laisser sceptiques ceux qui agissent réellement pour la paix. A commencer par les « refuzniks ». A ce jour, ils sont treize Israéliens à croupir en taule pour avoir refusé de porter les armes dans les territoires occupés. Et le nombre de ceux que leur refus mène droit au trou pourrait bien augmenter, « feuille de route » ou pas. C’est qu’en Israël, il est de plus en plus périlleux de s’opposer à la grande campagne civilisatrice de Sharon. L’échec de Camp David en juillet 2000, qu’il était plus commode d’imputer à l’intransigeance palestinienne qu’aux propositions canulardesques du travailliste Barak, avait servi de justification au bellicisme haineux de la droite. Les bombes humaines larguées sur les terrasses de café n’avaient pas arrangé les choses. Malgré cela, les refuzniks ont réussi à trouver un certain écho dans la population. Ces lycéens, officiers et appelés ont mis sur la place publique qu’ils ne seraient pas les marionnettes armées d’une « pacification » qu’ils jugent cruelle et suicidaire. Le premier acte de refus est venu d’élèves de terminale sur le point d’être appelés dans l’armée. En août 2001, ils envoient une lettre au Premier ministre Sharon dans laquelle ils expriment leur refus de prendre part « à des actes d’oppression dirigés contre le peuple palestinien, non seulement illégitimes, mais ne parvenant même pas à atteindre leur but avoué, c’est-à-dire accroître la sécurité personnelle des citoyens. » Ils sont aujourd’hui trois cents cinquante jeunes entre 15 et 18 ans à avoir signé cet appel.
Dans une pétition, ils assurent qu’ils ne continueront pas « à combattre au-delà des frontières de 1967 afin de dominer, d’expulser, d’affamer et d’humilier un peuple tout entier »
D’ampleur modeste, le mouvement n’en est pas moins lancé. En janvier 2002, cinquante-deux officiers réservistes et soldats d’unités de combat de Tsahal cosignent une pétition intitulée « le courage de refuser ». Ils y indiquent qu’ils ne continueront pas « à combattre au-delà des frontières de 1967 afin de dominer, d’expulser, d’affamer et d’humilier un peuple tout entier. » Se référant au sionisme, rédigé par des militaires ayant servi pour certains dans des commandos d’élite, pas vraiment du genre pacifistes boutonneux, cet appel fait du bruit dans la société israélienne. Et déclenche les foudres du pouvoir, inquiet de voir cette dissidence (qui regroupe aujourd’hui cinq cents douze signatures) faire tâche d’huile. Mais comme il n’est jamais aisé, surtout en Israël, de sanctionner des militaires, on s’acharne sur les lycéens. Quitte, pour cela, à violenter un peu les procédures. Normalement, les objecteurs passent devant une commission militaire chargée, selon des critères vagues, de juger de l’authenticité de leur refus. Désormais, on ne fait même plus semblant : pour la première fois, trois des signataires de l’appel lycéen, Jonathan Ben Hartzi (incarcéré depuis octobre 2002), Haggai Matar (depuis août 2002) et Mathan Jaminer vont être déférés devant la cour martiale israélienne et risquent jusqu’à trois ans de prison. Mauvaise pioche, Jonathan Ben Hartzi est le neveu de l’épouse de l’ex-Premier ministre Benyamin Netanyahou, un type qui trouve que Sharon est trop gentil avec les Palestiniens. Une parenté qui n’a pas amélioré son cas auprès du psychologue de la commission militaire, qui déclarait en substance : « Puisque Jonathan argumente, c’est qu’il est agressif. Puisqu’il est agressif, il ne peut être pacifiste ». Treize lycéens ou ex-lycéens sont aujourd’hui en prison pour avoir été « agressifs » envers Tsahal.
Dans cette partie du monde, la cour martiale est bien le seul endroit où Arabes et juifs sont égaux en droit - et encore.
Si la « Lettre des lycéens » et « Le courage de refuser » ont été largement médiatisés, il n’en est pas de même pour les objecteurs druzes. Les Druzes ont un statut à part : contrairement aux autres Arabes musulmans et chrétiens, exemptés de service militaire, les membres de cette branche très minoritaire de l’Islam1 doivent revêtir l’uniforme. Comme ils parlent arabe, l’armée s’en sert volontiers de supplétifs pour ses opérations de ratissage, conformément à une vieille tradition des armées d’occupation (cf. la France en Algérie) qui veut qu’une partie du sale boulot incombe à « nos amis les indigènes ». D’après le CID2, près de 40 % des Druzes ne se présentent pas le jour de leur incorporation. Ils sont alors considérés comme déserteurs et passent devant la cour martiale, où ils risquent jusqu’à trois ans de prison. Dans cette partie du monde, la cour martiale est bien le seul endroit où Arabes et juifs sont égaux en droit - et encore. D’où qu’elle vienne, l’insoumission est un choix lourd de conséquences dans une société très dégagée sur les oreilles où l’éducation, depuis la maternelle jusqu’au lycée, vous prépare à l’état de guerre permanent. Dès 18 ans, le service militaire est obligatoire pour les garçons (3 ans) comme pour les filles (21 mois), prolongé tous les ans par un séjour d’un mois à la caserne, histoire de ne pas perdre la main. Ceux qui ont pris le fusil sont avantagés sur le marché du travail ainsi que dans la carrière politique. Dans une société en treillis, le refus de combattre est certes le plus sûr moyen de se retrouver au trou. Mais aussi de bousculer l’ordre des choses.
Cet article a été publié dans
CQFD n°2 (juin 2003)
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Paru dans CQFD n°2 (juin 2003)
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Mis en ligne le 05.06.2003
Dans CQFD n°2 (juin 2003)
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