Théâtres occupés

« On cherche à nous ubériser »

Parti début mars de l’Odéon, à Paris, le mouvement d’occupation des théâtres a essaimé dans plusieurs régions. Et notamment en Alsace, où le Théâtre national de Strasbourg est occupé à son tour. Trois questions à Quentin, étudiant comédien.

C’est un mouvement pour la culture, certes, mais aussi pour les précaires du secteur – et les autres, tous ceux qui sont frappés de plein fouet par la crise économique liée au Covid-19. Les revendications ? Multiples. Entre autres : la réouverture des salles de spectacle, une seconde « année blanche » pour les intermittents, mais aussi l’annulation de la réforme du chômage censée entrer en vigueur au 1er juillet et qui entraînera une baisse de revenus pour plus d’un million d’allocataires. Entretien express avec Quentin, un étudiant comédien participant actuellement à l’occupation du Théâtre national de Strasbourg (TNS).

***

Qu’est-ce qui vous a amenés à occuper le TNS ?

« Quand l’Odéon a été occupé par les syndicats et les précaires, on en a tout de suite parlé entre nous. C’était l’une des rares fois, d’ailleurs, où les deux promotions [de l’école] du TNS se sont rassemblées (entre 40 à 50 élèves) pour discuter de ce qu’il se passe actuellement, et de ce que ça peut signifier pour notre avenir. Et on s’est vite rendu compte que l’occupation était la meilleure solution [pour porter leurs revendications actuelles, NDLR]. »

Après un an de crise sanitaire, avec toutes les conséquences que nous connaissons, comment vivez-vous les choses en tant qu’artistes en formation ?

« Au sein de l’école, a contrario du flou qui règne au niveau national, nous sommes dans un vrai cocon, protégé. Malgré la crise sanitaire, nos formations sont assurées [en présentiel]. Tout est très encadré et bien géré pour qu’on puisse travailler.

Politiquement, c’est autre chose. Déjà, il y a cet énorme flou de la part de l’État, qui a nourri notre colère et notre envie de se mobiliser. Nous n’avons pas de dates de réouverture, mais ce n’est pas le plus grave : surtout, on ne sait pas quel sera l’état de notre métier par la suite. Personnellement, quand je suis rentré dans cette école, j’avais l’espoir d’accéder au statut d’intermittent. De pouvoir jouer des pièces très différentes grâce à la souplesse que permet ce régime très particulier qu’est l’intermittence. Et quand j’entends que l’on veut le démolir tout comme, de façon plus générale, l’assurance chômage, ça me met très en colère. Nous au contraire, on est partisans de l’élargissement de l’intermittence. C’est une question cruciale pour nous, parce qu’il y a des métiers frères au nôtre qui n’y accèdent pas et qui vont être directement impactés par cette réforme. Alors, qu’en fait, ce sont des gens qui travaillent avec nous dans les théâtres... »

À ton avis, quels seraient les leviers autres que l’occupation des théâtres, pour essayer de faire changer les choses ?

« Pour la loi Travail, c’était un million de personnes dans la rue et malgré tout ils l’ont quand même fait passer... On se pose ces questions. On ne sait pas si on a le bon levier d’action. Mais, au moins, on aura lancé collectivement une réflexion sur l’organisation politique de nos métiers.

On sait qu’il existe des alternatives, des moyens d’autogestion que l’on éprouve à notre petite échelle, ici au TNS. Mais c’est aussi ce que l’on invente : comment est-ce qu’on essaie de s’affranchir de cette espèce de course à la compétitivité de nos métiers qui est toujours dans la recherche de subventions, de la constitution de dossiers, d’appels à projet, etc. On cherche à nous ubériser, et c’est quelque chose qu’on refuse. »

Propos recueillis par Francesco Nocera
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Les échos du Chien rouge

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