Cap sur l’utopie

Ne craignons pas d’être excessif

Samedi 4 avril 2020. J’apprends que l’insatiable virus a eu la peau de mon vieux (86 balais) poteau belge Marcel Moreau, l’auteur de quelques-uns des plus épastrouillants pamphlets séditieux jamais écrits, parmi lesquels Le Chant des paroxysmes (Buchet-Chastel), Kamalalam (L’Âge d’homme), L’Ivre Livre, Les Arts viscéraux, Discours contre les entraves (tous trois chez Bourgois). Des points d’orgue de la « littérature d’irrésignation au mal de vivre et de devoir mourir », des brûlots conviant leurs lecteurs à « irréprimer leurs instincts », à se « laisser élever par eux aux intempérances fécondes qui lardent de lames la ventrue réalité » bourgeoise, à se mettre en révolution perpétuelle.

Pour rendre un dernier hommage à Marcel Moreau et vous pousser à (re)découvrir ses livres scandaleux, je fais appel à… Marcel Moreau.

Mort à la mort !

« Pour moi, vivre, c’est prendre de vitesse la décomposition, la juguler d’éclairs. Ceux de la révolte, ceux de la haine, s’il le faut, ceux de l’art, si c’est possible (…). C’est le début de l’ivresse mentale de toute façon, c’est-à-dire d’une vie plus insolente, rendue joyeuse, et rythmique par cette connaissance si nouvelle qu’est l’ignorance de l’inutile. » (L’Ivre Livre, 1973)

Méfions-nous du culte du rêve

« Le rêve, je m’en méfie en tant qu’il est situation subie, non produit de la volonté, son objet pouvant être “cultivé”, “accru”, “enragé” au moment où je le reçois (…) Il entend m’informer de mon inconscient mais, sur celui-ci, je préfère agir, peser de toute ma force éveillée, débridée. » (Les Arts viscéraux, 1975)

Démutilons-nous

« Laisse tomber ton être raisonnable, ta part la plus artificielle, ta prothèse sociale, et vis comme un beau fou baignant dans sa démesure. Démutile-toi. » (Discours contre les entraves, 1979)

Devenons des saboteurs

« J’ose dire que la création littéraire doit être sabotage de ce qui est. Que conçue autrement, elle est complice de l’ordre établi, c’est-à-dire d’un principe de rétrécissement de l’homme, et d’un facteur de laideur universelle. À notre époque, toute construction nouvelle se rend complice des constructions qu’il faudrait détruire, toute création sans sabotage ajoute à la décomposition de ce qui s’est créé pour rien. » (Discours contre les entraves, 1979)

Retrouvons le sens du blasphème

« Si tu l’as perdu, retrouve le sens du blasphème. Renouvelle-le. Détourne-le de son emploi habituel : contre Dieu, l’Église. Tout cela est bien dépassé, on ne profane pas des fantômes. Blasphème plutôt les nouveaux dieux, les nouvelles Églises, tout ce qui agenouille l’homme devant l’idole. Sois sacrilège, forme suprême de l’insolence, envers les partis totalitaires et leurs chefs, envers les papes de la chansonnette, les grands prêtres du sexe, les marchands d’engouement, les sacralisateurs de n’importe quoi ou qui. Enfin, blasphème tes automatismes mentaux. » (Les Arts viscéraux, 1975)

Soyons excessifs

« Considère comme le plus ridicule des mots historiques celui de Talleyrand qui a dit : “Tout ce qui est excessif est insignifiant.” L’excès donne la mesure réelle de l’être. La modération ne nous en donne que des demi-mesures. Le signifiant d’une vie est inscrit dans ses débordements. Le reste n’est que sujétion à une culture, une morale, une éducation. La tempérance, la sobriété, la passivité sont des valeurs de domptage dont le propre est de nous dissimuler la formidable énergie qui nous habite. » (Les Arts viscéraux, 1975)

À lire aussi, l’ultime livre-sacrilège de Marcel Moreau : Un Cratère à cordes (Lettres vives, 2016).

Noël Godin
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