Ma radio, c’est du béton !

CQFD était là pour trinquer aux vingt-cinq ans de Radio Béton, une radio associative de Tours. Des débuts illégaux à la reconnaissance actuelle, en passant par une scission et l’interdiction d’émettre, retour sur un quart de siècle d’ondes libres. Reportage.

« On avait des plans pour trouver des émetteurs à Paris. » Pascal Robert, aujourd’hui militant Vert, raconte les débuts épiques de Radio Transistours en 1978-1979, la première radio libre tourangelle. « Il y avait à l’époque des techniciens fous qui faisaient des émetteurs pour un prix dérisoire. » Face à la répression qui entoure l’explosion du nombre de radios libres, « on a été plus malins que les flics, on ne s’est jamais fait piquer le matériel, mais on n’a jamais émis en direct non plus. On avait des émissions enregistrées qu’on diffusait une heure par semaine. On émettait depuis les hauteurs de Tours. L ‘émetteur était dans une belle voiture, avec un gentil petit couple, et autour, il y avait des vieilles bagnoles, des 403 et des 404, couvertes d’autocollants, avec des chevelus aux volants. Dès que les flics se pointaient, tout le monde se barrait. Et, dans la jolie petite voiture neuve, le gentil petit couple coupait brusquement l’émetteur en filant peinard. »

Radio Béton est née en 1984-1985 d’une scission de l’équipe de Radio Transistours. Autorisée à émettre seulement à partir d’octobre 19901, elle est aujourd’hui une institution locale. À Tours, le 15 janvier dernier, impossible de louper son camion qui ouvre le cortège de la manif contre le congrès du Front national2. Au micro, l’équipe de « Polémix et la voix off »3 promettent « de la viande halal pour le Front national ». Plus tard, alors que pavés et lacrymos volent en tout sens, un reporter coiffé d’un casque de chantier se rend au chevet d’un quidam allongé sur le sol face aux CRS, pour l’interviewer. C’est JBD, de Polémix, qui utilise son téléphone portable pour faire des directs.

Du 12 au 16 janvier derniers, pour ses vingt-cinq ans, la radio a installé son quartier général dans une caserne désaffectée. Au premier étage se trouve une salle d’exposition et, dans un petit espace dédié au blind-test, se concentrent une vingtaine de curieux s’amusant à écouter des extraits de la playlist de Radio Nostalgie. Mais l’essentiel est au rez-de-chaussée : le bar – où se tient le direct – et, en face, la salle de concert. Dans l’escalier, juste au-dessus, sur une immense affiche, une grand-mère acariâtre, bigoudis sur la tête et balais menaçant, hurle : « Au secours ! Ma fille écoute Radio Béton ! » Au sous-sol, l’on tombe sur un ministudio d’enregistrement, rose à l’extérieur, bleu nuit à l’intérieur, et cette mention : « Vingt-cinq secondes pour se la raconter. » Quézaco ? Une des animatrices nous explique : « Les gens sont tout seuls face à un micro, et ont vingt-cinq secondes pour se raconter. Parfois, on les aide en leur posant des questions… Vous voulez essayer ? » Les séquences enregistrées sont diffusées dans les toilettes. Au sous-sol également se trouve la cuisine, où l’on rencontre un autre Pascal, tout aussi cuistot que fondateur de la radio : « C’est une radio engagée. On n’est pas neutres, on ne l’a jamais été, et l’on ne veut pas l’être. » Un engagement qui est à la fois musical et politique. Radio Béton a en effet, depuis ses débuts, vocation à soutenir les scènes émergeantes, qu’elles soient rock, hip-hop ou électro. Côté politique, on y écoute deux émissions phares : « Demain le grand soir », de tendance libertaire, et « Des ô et débats », d’orientation plus mainstream, qui n’hésite pas, au moment des élections, à organiser des débats entre des candidats de droite comme de gauche. Néanmoins, chacun s’accorde sur le « respect mutuel » et « l’esprit de liberté » qui règnent toujours à Béton, tant dans son fonctionnement que dans l’expression des idées.

Mais au fait, d’où vient ce nom ? C’est JBD qui répond : « C’est l’histoire d’une horrible scission. Radio Transistours était une radio de gauchistes qui écoutaient du jazz et qui se sont sentis débordés par des rockeurs sans foi ni loi. Les jazzeux ont donc viré les intrus qui se sont retrouvés dans un garage où ils ont décidé de faire une autre radio. L’un d’eux a dit : “Il faut lui trouver un nom béton !” »


1 Après une interdiction d’émettre en 1986 suivie d’une saisie de son matériel en 1990.

2 Compte-rendu en images de cette manif sur http://paris.indymedia.org/spip.php....

3 Émission connue pour ses montages de discours politiques, reprise un temps par Radio Nova, www.polemixetlavoixoff.com.

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Paru dans CQFD n°86 (février 2011)
Dans la rubrique Médias

Par Marie-Anne Boutoleau
Mis en ligne le 31.03.2011