CQFD

La mare aux canards d’élevage


paru dans CQFD n° 62 (décembre 2008), rubrique , par Marie-Anne Boutoleau
mis en ligne le 13/02/2009 - commentaires

Alors qu’avec les réformes sarkoziennes le rouleau compresseur de la concentration s’abat sur les médias, les initiatives « critiques » se multiplient, mais bien tièdement et en ordre dispersé. Quand on jette un coup d’œil au pedigree des « dissidents », on comprend pourquoi…

MISSION ACCOMPLIE pour les mal-nommés États généraux de la presse écrite, qui ont réuni pendant plus de deux mois à huis-clos le bedonnant Tiers-État des patrons de presse. Cette parodie de consultation, au sein de laquelle n’ont siégé que sept journalistes de terrain sur cent quarante participants, devrait avaliser les projets sarkoziens de « réforme » du système médiatique français. En 2009, une fois les derniers obstacles à la concentration des entreprises de presse levés, Dassault, Bouygues et Lagardère pourront bâtir à loisir des groupes multimédias de stature internationale, servis par des bataillons de journalistes précaires. Une AFP privatisée refourguera une information au rabais à ses clients. Déjà, elle se cherche de nouveaux marchés : le 13 novembre, elle annonçait avoir signé un « accord stratégique » avec Relaxnews, agence dédiée à l’information sur les loisirs, afin de lancer dès janvier le premier fil mondial sur le sujet, qui aura pour devise : « Toujours plus de loisirs, surtout par temps de crise ! »

La suppression, sans compensations financières suffisantes, de la publicité sur les chaînes publiques va faire le bonheur de TF1, pressée de récupérer cette manne alors que son audience s’effrite. Demain, une télévision publique réduite à la portion congrue diffusera en priorité les communiqués présidentiels et des spots à caractère « civique ».

Face à un tel assaut, force est de constater que la réponse n’est pas à la hauteur. C’est en ordre dispersé que la profession fait mine de montrer les crocs. Alors que les États généraux sont quasiment bouclés et que le vote de la loi sur la « réforme » de l’audiovisuel public est emballé, voici que tout à coup d’étonnantes initiatives « critiques » se multiplient.

C’est Edwy Plenel qui le premier a dégainé son pistolet à bouchon. Lui qui avait en son temps défendu l’entrée en Bourse du Monde, découvre, depuis qu’il en a été viré, les effets néfastes de la finance sur la presse. Avec son site Mediapart et la complicité de Reporters sans frontières, il bidouille donc des États généraux « off », autour desquels gravitent d’authentiques martyrs de la liberté de la presse comme le paparazzo Alain Genestar (ancien directeur de Paris-Match), des journalistes satirico-lèche-bottes comme Charb et Caroline Fourest (Charlie Hebdo), des « penseurs de gôche » comme Pierre Rosanvallon, ou encore des responsables politiques. Si ces meetings et pétitions rencontrent un certain succès dans le petit milieu parisien de la presse, ils soulèvent beaucoup moins d’enthousiasme du côté des syndicalistes, qui n’ont pas eu droit au moindre temps de parole lors de la première de ces réunions « participatives » (le public non plus d’ailleurs) [1].

Pour ne pas être en reste, le téméraire hebdomadaire Marianne caquète lui aussi en faveur de « l’indépendance et [du] pluralisme des médias » et contre la loi permettant au président de la République de désigner et de révoquer au doigt et à l’œil le PDG de l’audiovisuel public. Alors que seuls soixante députés, dont vingt et un de gauche, ont voté ce texte, l’appel de Marianne a été paraphé par les principaux responsables syndicaux et politiques (à l’exception de ceux de l’UMP). Sont aussi signataires une foule de chauds partisans des médias libres et indépendants, parmi lesquels se haussent du col Hervé Bourges (ex-patron de TF1, de France Télévisions et du Conseil supérieur de l’audiovisuel), Michèle Cotta (ex-présidente de la Haute Autorité de la communication audiovisuel), Laurent Joffrin (PDG barbichu de Libération), l’indispensable Jean-François Kahn (cofondateur de Marianne), Edwy Plenel (encore lui !), le sémillant Philippe Val et le philosophe Bernard Stiegler.

Qui pourrait croire un seul instant que c’est avec une telle ribambelle d’Iznogoud, qui ne rêvent que de glisser leurs gros orteils dans les pantoufles du calife Lagardère, qu’on verra fleurir une presse à la hauteur des bagarres à venir ?


Notes


[1Lire le compte rendu de cette dernière dans Le Plan B n°16 qui vient de paraître.



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