Ondes, famille, patrie
Les zombies de Radio Courtoisie
Pour l’extrême droite à la papa, Radio Courtoisie est une institution. L’équivalent sur les ondes de Rivarol ou de Minute dans les kiosques. Fondée il y a trente ans par un proche de l’OAS nommé Jean Ferré, cette radio associative déverse sur ses auditeurs un mélange de catholicisme traditionnel et d’envolées ronflantes sur la pureté de la langue française, pour le plus grand plaisir des petits nazis et des grands réacs.
Sa coloration brune a certes un peu déteint avec l’éviction en juillet dernier de celui qui était à sa tête depuis 2007 : Henry de Lesquen. Taré fini, ce dernier s’était notamment fait connaître en déclarant vouloir interdire « la musique nègre » et en multipliant les sorties antisémites ou islamophobes. Exit le fou furieux. N’empêche : se coltiner une journée entière de Radio Courtoisie reste une expérience perturbante. L’équivalent d’une téléportation dans une réunion des Camelots du Roi circa 1930. Ce verbatim chronologique en fait foi.
9 h 05 : Le présentateur est jouasse, limite frétillant. Pensez donc : l’homme qu’il reçoit, le général Arnaud Sainte-Claire Deville, était encore il y a quelques mois « n° 3 de l’armée de terre ». Mazette. Il l’interroge donc avec déférence, le doigt sur le képi. « Mon Général », qu’il susurre à chaque question, orgasme à l’horizon.
Las. Malgré des questions de haut niveau – « Vos meilleurs souvenirs de quarante ans d’armée ? » –, Mon Général n’est pas très expansif. Il évoque certes « le canon de 155 Caesar qui obtient d’excellents résultats » ou l’héroïsme des soldats, mais ne sort pas de son rôle. Du classique. Il tient à le rappeler, cependant : « L’épée reste l’axe du monde. » Compris.
Pour moment culminant, l’appel d’un auditeur, angoissé par une question métaphysique des plus pressantes : « Mon Général, l’armée française a-t-elle un saint patron ? » La vieille baderne est désolée : ce n’est pas le cas. « Et si vous deviez en choisir un ? », relance l’intervieweur. « Je crois que Jeanne d’Arc remplirait bien ce rôle », câline Mon Général. Émoi dans le studio : « Cette réponse devrait plaire à nos auditeurs. »
10 h 15 : « C’est une langue beeeelle, avec des mots supeeeerbes... » Le pauvre Yves Duteil (et son morceau « La langue de chez nous ») est mobilisé pour introduire un message visant à promouvoir l’autoproclamée « Radio libre du pays réel et de la francophonie ». Sise boulevard Murat dans le 16e arrondissement parisien, l’antenne fête ses trois décennies et a besoin de thunes. Pour adhérer, c’est 40 €. Mais pour assister à la cérémonie d’anniversaire avec les « patrons » des émissions sur une péniche à Boulogne, c’est 50 boules – je me tâte.
10 h 15 : Petite musique médiévale, genre madrigaux épiques. Dansant le quadrille dans mon salon, je me calme quand ça enchaîne sur Anton Dvorak. Allegro ma non troppo.
10 h 47 : Moment culture & vieux grigous. Un académicien dévot évoque sa biographie de Bossuet. Ça cause de Richelieu, des Lumières ou de l’Institut du monde arabe (What the fuck ?), dont on utilisera avec profit le dernier étage pour contempler la cathédrale Notre-Dame (Ouf...). « L’épreuve la plus épouvantable peut mener à une forme de rédemption », gargouille l’invité. Ah ouais ? J’attends la mienne.
11 h 45 : Voici le « Bulletin de réinformation », moment d’amateurisme gênant, sans doute concocté par des stagiaires neuneus. Entre blancs et « euhhh » sonores, ils causent platement d’En Marche et de Merkel. Seule lueur, le jingle omniprésent, à base de symphoniques flonflons. L’impression d’assister à un combat de caniches avec la musique de Star Wars en fond sonore.
12 h 00 : Tadam, gros morceau : « Le libre journal des insoumis » accueille le Mouvement catholique des familles. Il y a trois invités, dont le président François Legrier qui accapare le micro et ne perd pas une occasion de mentionner ses « 28 petits-enfants ». L’objectif du gus est simple : « Redonner à la famille sa place de noyau fondamental de notre société. » Il y a urgence : « Nous sommes en guerre », clame-t-il, des trémolos dans la voix.
Alors que le débat ronronne – sont évoqués l’edukazion nazionale (prononcé à la Goebbels, rires gras), les vitraux romans, Pie XII... –, l’un des animateurs vire psychotique : « La virilité a totalement déserté notre époque !, s’étrangle-t-il. On n’a plus d’hommes ! »
Soudain la mêlée : tous se jettent sur l’os à ronger, délirant dans les grandes largeurs, avec mention de Joseph (papa de) à qui Marie et Jésus obéissaient sans regimber. En point d’orgue, juste après mention de la dernière apparition de Fatima, où « le petit Jésus bénit la foule à la manière de son papa », est assénée cette certitude eschatologique : « Le dernier combat de Satan sera contre la famille ! » Peur sur le rance.
13 h 30 : Place à la chanson française contemporaine : Bourvil, Piaf, etc. J’attends Maurice Chevalier de pied ferme.
14 h 00 : Pas l’émission la plus débile. Il est question d’enseignement de la philosophie avec des profs parisiens, relativement peu obscènes au regard du cadre. Mais voilà qu’évoquant les Allemands et les Italiens, le présentateur lâche : « Les peuples civilisés, quoi... » Ouf, on est bien sur Radio Courtoisie.
15 h 00 : Joie, un certain Philippe Maurice présente son émission sur la musique lyrique française. Sénile et chevrotant, il perd régulièrement les pédales, mange ses pauvres mots. Décrivant des opérettes oubliées via des phrases telles que « la fée printemps accède alors à sa demande pour échapper à la menace du soleil », il brille dans le noir, mignon comme tout. Cœur sur lui.
16 h 00 : « Le libre journal de politique étrangère » démarre mollement, et ne décolle jamais vraiment. Tout ça n’a rien d’original, les gars : Alexandre Adler le fait déjà sur Europe 1.
17 h 12 : Intermède musical. Je repère une trompette presque jazzy dans un morceau de Gershwin. Gaffe, de Lesquen va se retourner dans sa (presque) tombe...
17 h 46 : Message du cofondateur de la radio, Didier Roy, qui appelle à financer son bébé, « instrument de la résurrection française ». Question : être téléporté dans les années 1930, est-ce vraiment une résurrection ? Vous avez trois heures.
18 h 00 : Voilà le gros morceau de ce mardi 21 novembre, les « Chroniques du droit et de la liberté ». Trois heures de discussions réactionnaires entre croulants se prenant pour de fins analystes. Dont mon favori, Maître Heck, « notaire honoraire ».
Il n’y a apparemment pas de thème, hors « la décadence ». Sont convoqués Éric Zemmour, Valeurs Actuelles, Patrick Buisson, re-Zemmour, avec entre deux « saillies drolatiques » des attaques répétées contre l’égalitarisme, « destructeur de la richesse ». Au fil des minutes, les intervenants galopent vers le néant, se confortant dans leurs certitudes décaties à coup de dialogues de sourds : « Il y a un homosexualisme latent de la gauche. » – « Je l’ai toujours dit ! »
Le message général : ces très petits vieux ont peur. De tout. Des francs-maçons (descendants des gnostiques, brrrr). Des homos. Du communisme « dans lequel nous vivons toujours ». Des millions de petits Chinois prêts à déferler sur l’Occident.
Et moi et moi et moi ? J’ai la nausée.
21h 30 : Début du « Journal de la foi », fin de ma mission : j’éteins. Maso, peut-être, mais pas suicidaire.
Cet article a été publié dans
CQFD n°160 (décembre 2017)
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Paru dans CQFD n°160 (décembre 2017)
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Illustré par Mickomix
Mis en ligne le 28.12.2017
Dans CQFD n°160 (décembre 2017)
Derniers articles de Émilien Bernard
30 décembre 2017, 17:11, par Durruti
Très bon article... J’écoute radio gaga avec la fascination qu’on éprouve à l’égard des monstres... Vous avez raté le meilleur : Darnel, 95 ans aux fraises, cabotin sénile et incompréhensible, Paoli, la nouvelle "patronne", arrière petite nièce de Maurras, Antony, ayatollah du cassoulet et patron de l’AGRIF, le bon docteur Dor, fondateur de SOS tout-petits qui prie dans les rues contre les avortements et les Francs-Mac’, son obsession. Son pote, le Dr Perrel a fait main basse avec les intégristes sur l’église de La Roë en Mayenne, mais le Saigneur n’a pas été reconnaissant, il vient de caner. J’ajoute Glauzy, complotiste pour qui le siège du Grand Orient recèle dans ses caves les cadavres des enfants sacrifiés à Satan, des abbés sirupeux de la fraternité St Pie X de préférence, des directrices d’écoles hors contrat, bref le ramassis de toutes les causes puantes, suintantes, purulentes... Un festival, vous dis-je ! Je crois que le CSA a la radio dans le collimateur, mais malgré des propos très "border line", il s’est contenté jusque là de quelques amendes... Dommage.
12 janvier 2018, 19:07, par teach
Hasard des choses, Dargaud vient de sortir une bande dessinée nommée Interférences sur l’ histoire de Radio Nomade. C’est pas mal du tout. Sur fond de trahison, la bande raconte les aventures des pionniers des radios libres. Dans celle là, un ancien de Radio Caroline enseigne à deux jeunes les rudiments de la fabrication d’une radio. Les camions gono circulent pour détecter les pirates. Les deux animateurs enchainent des sujets interdits : le 17 octobre 61, la vie d’un clochard, Jean Marc Rouillan des GARI...
21 février 2018, 13:55, par l’ Amiral.
Tu veux que je te dise un truc ? On peut avoir écouté les Grosses Têtes pendant des années à l’arrière d’une CX et devenir anar. Je dirais même que c’est la seule façon d’en sortir par le haut. Les Grosses Têtes c’était quoi ? Un petit con de droite en costume qui s’appelait Philippe Bouvard, né à Coulommiers ; il coule depuis comme le frometon entre deux tranches d’ahuris qui rient à des questions. Bon, disait Tata, Philippe Bouvard a des excuses : Abandonné par un père catholique à sa naissance, le type se tire avec les bijoux. Il vaut mieux en rire. Sauf que Bouvard et son équipe de lourdauds, Kersauzon, dit l’amiral, Castelli, nommé le Débris, Dutourd, de l’Académie, ou pire Thierry Roland et Patrick Sébastien pour ne citer que les plus fameux dans la blague facho, répondaient à des questions venant de, je cite, Mme Bellepaire de Loches ou Mme Touffu de Lamotte. On peut être large d’esprit. J’en conviens. Mais sur RTL, ces machos de plus de cinquante ans accompagnés de vulgaires chroniqueuses comme Claude Sarraute ou Sophie Desmarets abattaient du poncif plus dangereux qu’une lecture du Point pendant 25 ans. Les réponses étaient toujours Michel Audiard, Sacha Guitry ou Woody Allen. Ca facilitait la tache de ces dangereux professeurs de conneries entre 16h et 18H.
13 mars 2018, 17:21, par Rabah AIT MOUHOUB
Je suis d’accord que la propagande qui ne se présente pas comme telle est encore plus dangereuse. Sur Radio Courtoisie on sait à quoi s’attendre.
6 juin 2018, 22:02
" Faciliter la tache" , je ne sais pas, la tâche peut-être ...