Journalisme de combat

La voix de ceux qui sont tus tout

Dans son récent ouvrage Ceux qui ne sont rien, le très médiatisé Taha Bouhafs raconte son parcours militant et ses débuts de journaliste. une manière de bousculer les pesanteurs de la profession. Et de revendiquer un journalisme le nez collé aux réalités et luttes de ceux qui, selon l’expression d’un certain Emmanuel Macron, ne seraient rien...

Si le journalisme est souvent affaire de caste, d’endogamie, il est des trajectoires qui échappent à la reproduction sociale et viennent secouer la léthargie ambiante. C’est le cas de Taha Bouhafs qui, dans son livre Ceux qui ne sont rien (La Découverte, Les Nouvelles Vagues, 2022), raconte son irruption fracassante dans les médias – il a notamment filmé en 2018 un certain Alexandre Benalla en train de violenter deux jeunes pendant la manifestation du 1er Mai...

Pas de passage dans une grande école pour celui qui estime « qu’on ferait bien de fermer Sciences Po et d’envoyer tous ses étudiants suivre des mouvements sociaux ». Sa formation ? La découverte des luttes sociales, dès 2016 à Grenoble, alors qu’il vit avec sa famille dans un quartier populaire de banlieue – « Alors me voilà, à dix-sept ans, dans la rue… Contre Hollande, El Khomri et toute la bande. » Et au fil des engagements et manifs filmées au téléphone, cette porte qui s’ouvre un jour à Là-bas s’y j’y suis, alors même qu’il n’y croit pas vraiment : « Je n’ai même pas le bac… Comment je deviendrais journaliste ? Ce n’est pas pour nous, ces trucs-là ! » La suite lui donnera tort. Et le verra courir la France, armé de son téléphone, pour couvrir aussi bien les mobilisations des Gilets jaunes que des luttes moins connues, à l’image de celle des travailleurs sans papiers de Chronopost à Alfortville (Val-de-Marne), où, en juin 2019, les flics l’arrêtent violemment (épaule déboîtée) avant de le poursuivre pour outrage et rébellion – il sera relaxé en mai 2021.

« Faux journaliste ? »

S’il est tant détesté des flics (et des identitaires), c’est sans doute parce que Taha Bouhafs a l’impudence de pratiquer un journalisme de combat, qui renvoie la soi-disant neutralité journalistique des mass média à ce qu’elle est : un leurre et une manière de disqualifier les approches divergentes. Et le journaliste de ruer dans les brancards : « Alors bien sûr, je n’ai rien contre le terme militant, je le suis tous les jours, militant. J’assume pleinement mes convictions de gauche et mes combats antiracistes, notamment contre l’islamophobie. Mais en quoi le fait de mener ces combats fait de moi un faux journaliste  ? Et que dire des journalistes qui relaient, à longueur de temps, la propagande du pouvoir ? Que dire de ceux qui se font les rouages infatigables des idées les plus réactionnaires et antisociales ? Ne sont-ils pas militants, eux aussi ? »

En clair, Taha Bouhafs sait d’où il parle, assumant des combats politiques sans qu’à ses yeux cela ne rejaillisse sur son éthique journalistique. Loin de mettre toute la profession dans le même sac, il s’interroge sur la fabrique de l’opinion et sur la persistance de colifichets symboliques barrant l’accès aux médias, à l’image de la carte de presse, que Taha Bouhafs – bossant désormais pour Le Média TV – reçoit en 2020, sans enthousiasme excessif : « Et ces camarades qui galèrent, comment fait-on pour qu’ils l’obtiennent aussi, cette petite carte qui ferait d’eux “officiellement” des journalistes ? Pourquoi y aurait-il les journalistes officiels et les autres ? Et moi, depuis que j’ai obtenu cette carte, de quel côté suis-je ? » Du bon, semble-t-il. C’est en tout cas comme ça qu’on voit les choses à CQFD.

Émilien Bernard
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2 commentaires
  • 12 mai 2022, 18:09, par Martha

    "C’est en tout cas comme ça qu’on voit les choses à CQFD". Vous servez la soupe à un mytho (l’affaire de Tolbiac), megalo, harceleur (une de vos collègues journalistes a quitté Le Media à cause de lui), qui bouffe à tous les râteliers militants pour sa propre gloriole, etc. Un nouveau type de journaliste paresseux entre influenceur et activiste arrogant, c’est ça votre vision du journalisme à CQFD ? Vous auriez pu vous renseigner un minimum. Être la cible des flics et des fachos ne justifie pas tout.

  • 12 mai 2022, 18:17, par Martha

    https://www.arretsurimages.net/arti... "L’EMBAUCHE DE TAHA BOUHAFS PRIVILÉGIÉE À CELLE D’UNE FEMME En décembre 2020, la rédaction, informée par la direction de son souhait de recruter le journaliste Taha Bouhafs, pose cependant une condition : l’embauche d’une journaliste dédiée aux questions de genre. Selon un journaliste, la demande est acceptée, une offre d’emploi est publiée, la rédaction rencontre plusieurs candidates de janvier à mars, et choisit Maud Le Rest. Mais le triumvirat de direction annule finalement l’embauche prévue. La journaliste devra se contenter de piges – Théophile Kouamouo a précisé "régulières" en commentaire de cet article. Auprès d’ASI, Julien Théry réfute avoir donné une quelconque autorisation de recrutement à la rédaction, y voyant une tentative de "forçage" de la part d’une rédaction qui souhaite avoir son mot à dire depuis l’éviction de Denis Robert et le passage en coopérative. "Un certain nombre de journalistes ont estimé que la priorité était de recruter une femme, souligne-t-il. Pour le directoire, la priorité est de survivre." Quitte à privilégier une star de la gauche et ses 100 000 abonnés sur Twitter. Une star pas forcément assidue au travail – comme Marianne l’avait révélé dans un portrait acide –, ce que bien des salariés nous ont confirmé, mais souvent efficace pour obtenir des informations exclusives profitant à la webtélé."

Cet article a été publié dans

CQFD n°207 (mars 2022)

Dans ce numéro de mars aux belles couleurs roses et rouges, un dossier sur « les saigneurs de l’info », mais aussi : une terrible enquête sur les traces d’un bébé mort aux frontières près de Calais, un voyage au Caire en quête de révolution, un stade brestois vidé de sa substance populaire, un retour sur les ronds-points jaunes, une gare en péril, des cavales, des communards pas si soiffards...

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