Roms de Marseille

La valse des squats

Le 30 octobre, à Marseille, environ 200 Roms sont expulsés de quatre hangars squattés depuis un peu plus d’un an. Dans la foulée, un nouveau squat est ouvert. Derrière ses murs, petit à petit, le quotidien s’organise. Reportage.
Une illustration de Clement Buée

Un hangar, immense, niché en retrait d’un boulevard des quartiers Nord de Marseille. À l’extérieur, des camions parqués, une pyramide de matériel électroménager et une fosse septique prête à reprendre du service. À l’intérieur, une allée centrale investie par des enfants et leurs jouets ; des femmes affairées à laver le linge ou à préparer à manger. De part et d’autre, une quarantaine de baraques sommaires, construites en enfilade. Des effluves de lessive et des bruits de planches que l’on découpe. « On va être bien, ici.  » L’homme qui parle s’appelle László1. C’est lui qui nous accueille. Assis bien droit, le dos calé contre le dossier d’une chaise, László en impose : voix calme, sourire tranquille et franc. Cela fait un peu moins de trois semaines qu’il vit dans ce hangar désaffecté avec sa femme Ljuba, leurs quatre filles et 43 autres familles roms. Soit la majorité des quelque 200 personnes, parmi lesquelles de nombreux enfants, expulsées le 30 octobre de quatre hangars du chemin de la Madrague-Ville (15e arrondissement) qu’ils occupaient pour certains depuis plus d’un an. Deux jours avant la trêve hivernale, les forces de l’ordre étaient venues en nombre les déloger. Un peu plus tôt, un rapport de la direction départementale de la protection des populations et des marins-pompiers de Marseille avait fait état d’un « risque d’effondrement partiel des murs et des toitures ». Et surtout, les quatre bâtisses se trouvaient au beau milieu d’un chantier : des logements devraient commencer à être construits sur ce terrain d’ici la fin de l’année. Alors, pour la quatrième fois en dix ans à Marseille, László a plié bagage et embarqué femme et enfants dans le camion, en direction d’un nouveau lieu de vie informel, trouvé de justesse.

Depuis son arrivée sous le nouveau hangar, situé à une trentaine de minutes de marche du précédent, la famille n’a pas chômé. Après avoir posé deux verres de café serré sur la table de jardin qui jouxte leur cabanon, Ljuba nous invite à entrer. En moins de trois semaines, elle et son mari sont parvenus à construire un vrai petit deux-pièces, parfaitement tenu. Dans la pièce principale, au fond à droite, le lit parental sur lequel la petite dernière, âgée de 18 mois, s’est assoupie ; à gauche, deux armoires en bois massif qui renferment tout ce qu’on ne peut pas se permettre de laisser traîner quand on vit à six dans 25 m2 ; aux murs, des couvertures fleuries qui rendent l’espace accueillant et gardent la chaleur produite par le radiateur électrique qui tourne à plein régime. Enfin, près de la porte d’entrée, une cloison dissimule la chambre des enfants. « Pour que chacun ait son intimité, c’est sacré », insiste László.

« Tout recommencer »
 « À chaque expulsion, il faut tout reconstruire »

Ljuba fait volontiers visiter son nouveau chez-soi, mais le cœur n’y est pas : « On est fatigués… À chaque expulsion, il faut tout recommencer, tout reconstruire », confie la trentenaire, un large sourire tout de même arrimé au visage. La dernière fois, c’était en juin 2022, quand le squat de la rue Cazemajou (15e arrondissement), en place depuis plus de quatre ans, a été vidé de ses habitants. « À chaque fois, les enfants sont traumatisés  », renchérit László, qui s’efforce de tenir les siens à distance en les faisant garder par des proches quand la date de l’expulsion est connue d’avance. «  Ils se demandent pourquoi il y a autant de policiers, où ils vont dormir le soir, et s’ils vont pouvoir rester à l’école avec leurs copains… » Sous le hangar, 70 % des enfants en âge d’être scolarisés le sont, affirme László. Par chance, cette fois, le nouveau squat n’est pas si éloigné du précédent : tous vont pouvoir continuer l’année scolaire dans l’établissement où ils l’ont commencée.

Pour les adultes non plus, changer de lieu de vie aussi régulièrement n’est pas simple.

« On partage un lieu collectif, alors il faut faire en sorte que ça fonctionne ensemble »

Dario, voisin de László et Ljuba, se joint à nous : « Ce hangar, ça va parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Mais on est trop nombreux, on a réuni quatre squats ici ! » Il faut alors composer avec les autres, avec lesquels on n’a pas forcément choisi de vivre. « Ici, même si chacun a sa maison, qu’on ne mange pas tous ensemble, etc., on partage un lieu collectif, alors il faut faire en sorte que ça fonctionne ensemble », confirme László. Sans compter le quartier où il va falloir s’intégrer, même si, en général, «  ça va », estime-t-il : « Quand tu vas pas chercher les problèmes, tu les trouves pas. Et avec le temps, on se rencontre avec les voisins, on se rend des services.  » Lui dit ne pas subir de « racisme », mais note tout de même que, lorsque « deux ou trois personnes foutent le bordel, les gens ne veulent pas comprendre : ils nous prennent pour les cinq doigts de la main et nous mettent dans la même casserole ». Alors à chaque expulsion, à chaque nouveau squat, c’est toute une relation de confiance qui est à recréer, encore une fois, avec le nouveau voisinage.

Demain, c’est loin

László, Ljuba et Dario le savent : ce nouveau lieu de vie avec lequel ils se familiarisent peu à peu, et qu’ils comptent bien investir pour l’«  améliorer  », lui non plus, ne va pas durer. « On peut espérer rester au moins jusqu’à la fin de la trêve hivernale, mais après ? » lâche László. À chaque expulsion, des chambres d’hôtel leur sont proposées mais la perspective ne convainc pas vraiment. Dario : « C’est pas une vraie solution, on est mieux là qu’à l’hôtel. » László abonde : « Souvent, les hôtels sont loin du centre-ville, comment on fait pour aller travailler le matin ?  » Sur les 43 familles vivant dans le hangar, une soixantaine de personnes « travaillent à temps complet dans les espaces verts, la propreté,ou se forment en alternance », précise László. Lui a toujours bossé. En Roumanie, il travaillait à l’usine, jusqu’à ce que celle-ci ne ferme et qu’il quitte le pays, faute d’argent pour vivre décemment. En France depuis 17 ans, il a été maçon sur des chantiers de rénovation de bâtiments anciens mais est tombé malade à cause des poussières. Depuis, il récupère tranquillement et vit de la ferraille – ou plutôt de l’écologie et du recyclage, comme il aime à le dire – en attendant de décrocher un jour un emploi de chauffeur-livreur. Quant à l’idée de vivre en appartement, László a bien essayé, mais « c’est trop cher, 350 euros de loyer quand tu touches que 1 000 euros et que tu as six personnes à nourrir. Et pour la ferraille, c’est pas pratique…  »

Reste un espoir : que le « village insertion » porté par l’État, la Ville et la métropole sorte de terre prochainement. Dans les tuyaux depuis trois ans, le projet s’inspire d’un dispositif déjà expérimenté à Montreuil (Seine-Saint-Denis) : un village de transit composé d’habitats en conteneurs recyclés pouvant accueillir 80 personnes. Soit plus ou moins douze familles. On est bien loin de la solution pérenne mais ce projet, László y croit. Il y a quelque temps, il a même fait le déplacement à Montreuil « avec une travailleuse d’ATD Quart-Monde », avant d’aller porter ses revendications auprès de la métropole d’Aix-Marseille : «  La seule chose à faire pour que notre situation s’améliore, c’est qu’on parle par nous-mêmes de ce dont on a besoin. »

Par Tiphaine Guéret

1 Les prénoms ont été modifiés.

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CQFD n°225 (décembre 2023)

Dans ce numéro de décembre, on essaie de faire entendre des voix Palestiennes tout en s’interrogeant sur l’information en temps de guerre. Sinon, on donne des nouvelles des anarchistes ukrainiens, on suit aussi des familles roms installées à Marseille et qui trimballent leurs vies d’expulsion en expulsion, on s’interroge sur l’internet militant, on décortique la loi Immigration du grand méchant fourbe Darmanin et on regarde BFM dans un kebab de Morlaix, munis d’un sac à vomi.

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