- Oran, juillet 2019.
Mais début 2020, l’épidémie de Covid-19 porte un violent coup à la dynamique révolutionnaire : confinements et couvre-feu mettent fin aux marches, malgré des tentatives avortées et quelques sit-in devant les tribunaux. Une aubaine pour le pouvoir : à la faveur de la crise sanitaire, il parvient à faire voter par référendum une réforme constitutionnelle censée neutraliser le mouvement. Cette fois, seul·es 23,7 % des Algérien·nes se sont rendu·es aux urnes. Du jamais vu depuis l’indépendance.
Replié sur Internet, le Hirak poursuit l’essentiel de son combat sur les réseaux sociaux. Mais la répression à laquelle il fait face est tout sauf virtuelle. Au programme : arrestations d’activistes, procès expéditifs sous des prétextes souvent absurdes et incarcérations de militant·es par centaines.
[|Arrestations en pagailles|]
La consultation de la liste des prisonniers et prisonnières, actualisée quotidiennement par le Comité national pour la libération des détenus, laisse entrevoir la diversité des cibles du pouvoir : jeunes chômeurs et chômeuses mobilisé·es, artistes contestataires, activistes de toutes les régions du pays, politicien·nes comme journalistes subissent une sévère répression. Aucune des diverses sensibilités politiques s’exprimant au sein du Hirak n’y échappe.
En réponse, la solidarité avec les militant·es visé·es transcende également les clivages. C’est le cas dans l’affaire Amira Bouraoui. Cette gynécologue, militante pro-démocratie issue de la bourgeoisie libérale, a été condamnée il y a quelques semaines à trois ans de prison pour « offense au prophète » [1]. Ça n’a pas empêché qu’à l’intérieur du Hirak, « y compris les islamistes, [soient] solidaires avec elle », remarque Samir Larabi, membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs (PST, trotskyste).
[|Les leaders d’opinions ciblés|]
Si le pouvoir frappe sans distinction tous les courants politiques, il semble s’en prendre particulièrement aux leaders d’opinion. « Quand on regarde de près les arrestations et condamnations, explique le sociologue Ali Boucherka, il est aisé de comprendre que le régime cible en priorité les militants irréductibles, les plus engagés sur le terrain, pour en faire des exemples qui dissuadent les autres d’aller plus loin. » La journaliste Lynda Abbou, qui a récemment subi une campagne de harcèlement en ligne – autre arme de l’autoritarisme algérien –, confirme ce constat : « Le pouvoir pense que les militants les plus suivis sur les réseaux sociaux sont [responsables de] la mobilisation. Et que les journalistes et médias qui donnent la parole à ces militants et reprennent les slogans du Hirak dans le cadre de leur travail journalistique [contribuent aussi] à mobiliser les manifestants. »
Journaliste indépendant très suivi sur les réseaux sociaux, Khaled Drareni en a fait les frais : il a été condamné en appel le 15 septembre à deux ans de prison pour « incitation à attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national ». Le jour de son procès, rappelle Lynda Abbou, Khaled Drareni a été interrogé au sujet de slogans et de vidéos du Hirak diffusés sur les réseaux sociaux ainsi que sur des communiqués de partis politiques qu’il avait publiés dans le cadre de son travail. « Pire encore, précise la journaliste, il a été arrêté [alors qu’il couvrait] la manifestation du 7 mars 2020 à Alger. »
[|Le mythe de la main étrangère|]
Contrairement à celles de centaines d’anonymes, les condamnations de Khaled Drareni (qui était aussi correspondant en Algérie de Reporters sans frontières) et Amira Bouraoui ont été largement médiatisées à l’international, suscitant des réactions indignées. Pas sûr que ces soutiens venus de l’étranger leur soient utiles, le pouvoir algérien étant particulièrement rodé à jouer sur la suspicion de trahison à la patrie – en particulier lorsque la main étrangère mythifiée vient de France [2].
Un comble, quand on sait que le président Tebboune bénéficie lui-même du soutien formel d’Emmanuel Macron, qui déclarait dans les colonnes de Jeune Afrique, le 20 novembre dernier : » Je vous le dis franchement : je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. Il est courageux. »
[/Redouane Benchikh & Kelb H’mar/]