Sur la Sellette
La juge et la prison
Arrêté à la gare deux jours plus tôt avec 30 g de résine de cannabis et 10 g de cocaïne, Thomas L., 22 ans, comparait pour détention de stupéfiants.
Face aux allusions de la présidente, il maintient qu’il s’agissait uniquement de sa consommation personnelle.
– Et pourquoi avez-vous refusé de fournir votre code de téléphone ?
– Quand les policiers m’ont demandé, je n’avais pas vu mon avocate. Je n’ai pas pu parler avec elle avant.
Cette méfiance agace la présidente : « Les policiers voulaient seulement savoir si vous faites ça souvent. Ils ne sont évidemment pas intéressés par vos données personnelles. » Elle lit ensuite rapidement les informations de personnalité : « Vous vivez chez votre mère à Toulouse. Vous êtes né au Mali et vous avez été adopté à l’âge de 2 ans. Vous êtes passé par des questionnements identitaires pendant votre enfance. Vous avez été placé en foyer à 14 ans. Les faits de délinquance ont commencé à ce moment-là. Votre compagne est enceinte de 5 mois et habite chez sa mère. Comment expliquez-vous que vous n’avez pas encore entamé une qualification à votre âge ? »
Le garçon hésite et répond à voix basse qu’il était en prison : « Ce n’est pas une raison, lance la présidente avec aplomb. On n’en parle pas souvent ici, mais en détention aussi on peut passer des diplômes et préparer sa sortie. »
Un peu déstabilisé, le prévenu précise qu’il a trouvé une formation de mécanicien et qu’il doit passer un entretien d’embauche.
La présidente ricane : « Comme je le dis souvent, le procès est un formidable accélérateur de carrière ! Hier pas d’emploi, mais tout d’un coup du travail autant qu’on veut ! »
Dans ses réquisitions, le procureur accuse Thomas L. d’être un dealer, même s’il ne comparait pas pour ça : « Le casier judiciaire est fourni : neuf mentions, dont deux condamnations pour stupéfiant, ce qui montre un ancrage ancien dans la délinquance. Et – oh surprise ! – il avait déjà refusé de donner son code de téléphone en 2021. Monsieur connaît la chanson, comme toute personne qui est dans le milieu. »
Il demande 12 mois de prison et le maintien en détention.
L’avocate, quant à elle, récuse tout trafic : « Mais il est vrai qu’il consomme énormément. C’est un enfant adopté, ses parents ont divorcé à son adolescence et c’est à ce moment-là que tout a dérapé. »
Elle voudrait que la peine soit aménagée pour qu’il puisse suivre sa formation : « Avec sa maman, c’est compliqué, mais la mère de sa petite amie accepte qu’il soit placé sous bracelet électronique chez elle. »
Peu importe, Thomas L. est condamné à 10 mois de prison et maintenu en détention. Tout à son idée que la prison peut être un lieu de soin et de formation, la présidente en profite pour donner quelques conseils d’un air aimable : « Il y a à l’évidence des problèmes d’addictions non résolus. Je vous engage à mettre à profit cette période de détention pour les résoudre. Et pour vous orienter vers l’exercice d’une profession autorisée. »
La compagne de Thomas L., assise au premier rang pendant l’audience, quitte la salle en pleurs.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°228 (mars 2024)
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Paru dans CQFD n°228 (mars 2024)
Par
Illustré par Bertoyas
Mis en ligne le 22.03.2024
Dans CQFD n°228 (mars 2024)
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