La culture nous prend pour des truffes

La mairie de Marseille recrute mille bénévoles pour encadrer les festivités de 2013, « année capitale ». Comme à Lille en 2004, ces gentils blaireaux se convertiront en « ambassadeurs » d’une vaste couillonnade touristico-ludique censée civiliser une cité aux mœurs trop barbares. Depuis Paris, le Premier ministre a d’ailleurs évoqué 2013 comme une « opportunité formidable » pour « mobiliser les énergies » et, qui sait, mettre les kalachnikovs en sourdine…

La Ville a recouvert la ville d’affiches et le message fleure bon le foutage de gueule dans les grandes largeurs : « Tous bénévoles » ! Sur l’une, un retraité s’essaie aux rollers. Sur l’autre, un bondissant guitariste entre en scène. Sur la suivante, un ouvrier en combinaison fluo et casque de chantier offre ses bras pour la bonne cause. Plus loin, un rappeur empoigne le micro pour les beaux yeux d’une culture qui, c’est bien connu, n’a pas de prix… Dans un département où le chômage frôle les 13 % et où 70 000 personnes vivotent avec le RSA, on propose au brave citoyen de trimer à l’œil. Pourquoi ? Pour mettre de l’huile dans les rouages d’une grosse machine parachutée depuis Bruxelles et qui, dans la dernière ligne droite avant le bal d’ouverture, cherche désespérément à se donner des airs authentiques et populaires.

Renaud Muselier, le « monsieur 2013 » de la municipalité qui avoue ne pas trop s’y connaître en culture mais être « conscient des enjeux », présente ainsi la campagne de recrutement : « On a parfois entendu que les Marseillais ne participaient pas à 2013, qu’ils se sentaient exclus des préparatifs. Mais aujourd’hui, je vous le dis : nous avons besoin des Marseillaises et des Marseillais ! Nous comptons sur leur patriotisme territorial1  ! »

Depuis Lille 2004, on sait que le succès des Capitales européennes de la culture dépend de l’accomplissement de deux formules magiques2 : réappropriation du label par la ville hôtesse pour booster des mutations urbaines déjà en cours et enrôlement des indigènes comme acteurs-spectateurs d’événements pensés sans eux et souvent contre eux – on ne répètera jamais assez qu’ici, selon l’adjoint au maire délégué à l’urbanisme, les opérations de réhabilitation visent à se « débarrasser de la moitié des habitants », car « le coeur de la ville mérite autre chose ».

Pour ce qui est du bénévolat, « toutes les Capitales européennes de la culture l’ont fait, c’est une manière de faire participer les Marseillais et de faire en sorte qu’ils deviennent ambassadeurs de leur propre ville », déclare sans rougir Daniel Hermann, adjoint au maire délégué à la Culture. La campagne « Tous bénévoles » drague les autochtones éventuellement désireux de « partager une expérience unique en leur proposant de s’engager […] et de vivre l’année 2013 depuis les coulisses jusqu’au devant de la scène3 ».

Les secteurs d’activité concernés par cet appel sont, parmi d’autres, « la communication, la sécurité, la traduction, le transport4  »… Autrement dit, en 2013, des attachés de presse, des vigiles, des interprètes, des chauffeurs devraient travailler pour des prunes et pour la gloire. Et si on en croit les affiches de la campagne, du côté de la mairie, on rêve même de faire marner les artistes et les ouvriers des chantiers en cours pour pas un radis ! Dans La Marseillaise, Daniel Hermann avoue d’ailleurs qu’une « question de coût » entre effectivement dans les calculs municipaux à l’heure de mobiliser les bonnes volontés : les caisses sont vides, la ville croule sous les dettes jusqu’au point d’alimenter la rumeur persistante d’une imminente mise sous tutelle par l’État…

Mais où est passé le flouze ? Six cent millions d’euros ont, paraît-il, été engloutis dans près de cinquante chantiers visant à doter l’agglomération d’infrastructures culturelles à la hauteur de l’événement, tels le Mucem, la Cité des arts de la rue ou le Silo. Infrastructures destinées à devenir pérennes et à enrichir l’offre culturelle locale pour les siècles des siècles. Mais à Marseille, le petit côté chapacan des projets municipaux ne déçoit jamais. Un résultat croquignol de ces dépenses pharaoniques a été dévoilé par le Canard Enchaîné du 8 août 2012 : sur le port, le hangar J1, bâtiment vedette considéré comme la « maison de Marseille-Provence 2013 » sera finalement fermé du 18 mai au 11 octobre 2013, faute de climatisation. Rafraichir les lieux coûterait une fortune et on a préféré mettre la clé sous la porte pendant la période de l’année la plus chaleureuse – et de maximum affluence –, afin de « ne pas exposer les visiteurs à des températures extrêmes ». Cette pure galéjade, conçue par une architecte payée à plein temps, aura quand même coûté plus de huit millions d’euros…

De leur côté, les cadres de l’association MP-2013 ne se sentent absolument pas visés par l’appel municipal au bénévolat : ils se sont déjà octroyés 17 % d’augmentation entre 2008 et 2010. Les salaires des trois plus hauts dirigeants de cette usine à gaz hilarant représentaient un total brut de 353 820 euros en 2010 pour 302 255 euros en 2008. Près d’un million d’euros a d’ores et déjà été mis de côté pour les licenciements économiques de l’équipe en janvier 2014. « Si on avait proposé des CDD, cela nous serait revenu plus cher », se console Jacques Pfister, président de la Chambre de commerce et d’industrie et de Marseille-Provence 2013. Si l’on additionne les frais de marketing et de communication à la masse salariale, le coût de fonctionnement captera 30 % du budget total (91 millions d’euros), contre 20 % pour Lille 2004. Un train de vie plutôt flambeur (les salariés ont droit, entre autres avantages, à un iPhone de service) qui a provoqué la démission, en septembre 2010, de Jean-François Bigay, trésorier de MP-2013. « J’ai essayé de combattre ce que je considérais comme des dérives de l’association, explique-t-il. Les salaires importants des cadres et des directeurs ne pouvaient se justifier qu’à condition que l’équipe travaille de concert avec les acteurs culturels. Or, ils se comportaient comme des censeurs. De fait, ce sont les plus grosses structures qui vont capter la plus grosse partie du financement de la Capitale5. »

Et l’esprit frondeur de la ville ? Il est opportunément sollicité par les programmateurs pour intégrer le show et lui apporter un semblant de couleur locale. Gari Grèu, grande gueule du combo Massilia Sound System, va interpréter la chanson « officielle » de 2013. Espérons qu’il n’a pas accepté de se coltiner cette glorieuse mission pour des clopinettes, lui. Quant aux personnes encore tentées par le job d’ambassadeur à ouf, elles peuvent téléphoner à Allo mairie : « Après le bip, cet appel sera facturé 7,8 centimes, puis 2,8 centimes par minute, plus un coût de communication si vous appelez depuis un mobile… » On se tue à vous le dire : la culture, ça n’a pas de prix.


1 La Provence du 5 juillet 2012.

2 Lire CQFD n° 102.

3 La Marseillaise du 9 juillet 2012.

5 Le Ravi avec Médiapart, janvier 2012.

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2 commentaires
  • 20 novembre 2012, 23:21, par Marie marchand

    Je l’ai dénoncé depuis que l’annonce de "Marseille capitale européenne de la culture de l’Europe" a été décrété, c’est un scandale de faire appel à des bénévoles alors que des Marseillais expérimentés et de qualité sont au chômage.

  • 26 novembre 2012, 15:45, par Zorro

    Rassemblement à Marseille ce mercredi à 18 heures aux réformés contre l’Ayrauport.

    A Marseille, une trentaine de sympathisants anti aéroports se sont rassemblés à la préfecture avant que de se diriger, pris d’un élan soudain vers l’immeuble de la seconde fédération de France du PS : Fermée, cela n ‘a pas empêché cette marche de déverser trois containers et poubelles sur la porte et de taguer le joyeux ZAD en signe d ‘au revoir. Bien à vous.

Paru dans CQFD n°103 (septembre 2012)
Par Nicolas Arraitz
Illustré par Plonk et Replonk

Mis en ligne le 22.10.2012