Clearstream

La censure libre de s’exprimer

Richard Malka défend Charlie Hebdo contre les barbus et Clearstream contre Denis Robert. Aucun lien, juré ! Sauf quand un nervi de la banque d’affaires invite l’avocat à parler « liberté-d’expression »… au pays du journaliste censuré.

MAÎTRE RICHARD MALKA est le genre de Janus à brandir sa carte de la ligue antialcoolique d’une main tout en vous remettant un jaunet de l’autre : « Bin Denis, tu vas pas repartir sur une patte ! Bascule, j’t’remets ça ! » Avocat de Charlie Hebdo dans l’affaire des caricatures, son sourire de satisfaction télégénique symbolise pour beaucoup la liberté d’expression. Avocat de Clearstream dans les affaires éponymes, son rictus incarne le bâillon de Denis Robert.

Denis Robert, c’est ce journaliste qui enquête depuis des années sur les obscures transactions financières de la désormais célèbre banque de banques1. Noble mais redoutable activité qui lui vaut une multitude de procès intentés par plusieurs établissements bancaires, dont Clearstream, engendrant quantité de frais de justice et de visites d’huissiers. Si depuis sept ans les bouquins et les films de Denis Robert sont régulièrement attaqués en diffamation, leur auteur est rarement condamné. Quand il subit les foudres judiciaires, c’est à la hauteur des préjudices subis, soit l’euro symbolique. C’est dire… Mais l’histoire se corse depuis deux ans avec deux procès perdus suite à des interviews publiées dans VSD et Sud-Ouest. Dans ce dernier cas, début juin, le tribunal de Bordeaux a sommé le journaliste de s’alléger de 12500 euros ! C’est la douloureuse de trop, et Denis Robert a décidé de ne pl us l’ouvrir. Définitivement. Le mot « Clearstream » ne sortira plus de sa bouche.

Le 9 juin, soit quelques jours après la sentence, Richard Malka est invité à Metz à la librairie Geronimo par le groupe local de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), afin de disserter sur la liberté d’expression. Denis Robert habitant dans le coin et y comptant pas mal de collègues, des membres de son comité de soutien étaient au fond de la salle2. Yan Lindingre, qui en fait partie, interrogea l’avocat sur son engagement auprès de Clearstream. « Il m’a répondu », rapporte notre dessinateur taquin, « que ce n’était pas pour l’argent, qu’il vivait simplement, qu’il n’avait pas de voiture et qu’il s’habillait avec pas grand-chose. » C’est effectivement un cas très courant, et nombreux sont ceux, dans le milieu de la finance, qui détestent l’argent et les sapes de luxe. Lindingre poursuit, s’étonnant de l’audacieux mélange des genres que sont la défense des intérêts d’une multinationale et de la liberté d’expression : « Malka m’a fait une réponse très technique, expliquant qu’un avocat défend qui il veut. Et qu’on peut défendre une multinationale au nom de la liberté d’expression ! » Ainsi qu’au nom des galettes-saucisse, des escarres de grand-père et de mon cul sur la commode. S’il fallait une preuve tangible de cette confusion des genres, la voici : le gus qui a soufflé le nom de Richard Malka aux organisateurs de cette soirée n’est autre que Bruno Rossignol, l’attaché de presse de… Clearstream ! Contacté par CQFD, ce dernier confirme sans vergogne : « Je suis membre de la Licra et j’ai proposé [Richard Malka], comme j’ai proposé d’autres noms… Et là c’était plus facile puisque j’avais un contact direct. » Il ne faut donc y voir aucune malice. Il est dans l’ordre des choses qu’un salarié de la célèbre banque s’intéresse à la liberté d’expression puisque « jamais Denis Robert n’a été empêché d’écrire. Personne ne l’empêche, et surtout pas nous, d’écrire des ouvrages sur Clearstream ». Il aurait donc tort de se priver. Surtout que, comme le précise Bruno Rossignol, « il y a certainement du blanchiment dans la planète financière, cela m’étonnerait qu’il n’y en ait pas ». Tu crois ? Denis, tu nous ferais pas une petite enquête là-dessus ?

par Lefred-Thouron

1 Révélation$ (2001) et La Boîte noire (2002), éditions Les Arènes.

2 Comité de soutien à Denis Robert, BP 93602, 54016 Nancy Cedex.

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