Répression des médias en Italie
La Rai dans les griffes de Meloni
Début mai, l’Italie est passée à la « problématique » 46e place du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans Frontières (RSF), perdant cinq places par rapport à l’année d’avant. Les pressions croissantes exercées par la classe politique en sont une des causes. Si les atteintes à la liberté d’informer ne datent pas de ce gouvernement, la majorité de la Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni, au pouvoir depuis 2022, semble menacer plus que jamais l’indépendance de la presse et vise en particulier la Rai, principal groupe audiovisuel public italien. En s’appuyant sur une réforme structurelle de la chaîne menée par le Premier ministre précédent, Giorgia Meloni resserre son contrôle politique et multiplie les cas de censure.
Pour mieux comprendre comment le service public italien audiovisuel est passé dans les mains du gouvernement, il faut remonter à 2016, au moment où le Premier ministre Matteo Renzi, membre du Parti démocrate (centre gauche), réforme la RAI. Alors que la répartition des emplois publics se fait historiquement entre les partis politiques – le système de « lottizzazione1 » –, il souhaite limiter les influences partisanes en créant un poste d’administrateur délégué (AD). Ce dernier est désigné par le conseil d’administration de la chaîne, dont la majorité (4 membres sur 7) est choisie par le gouvernement. Doté des pleins pouvoirs, c’est lui – et donc le gouvernement – qui nomme les directeurs des chaînes de télévision et des journaux, et décide quels programmes sont diffusés. Une position stratégique dont le gouvernement Meloni s’est saisi en mai 2023, à peine 8 mois après son élection à la présidence du Conseil des ministres.
« Sur le plan idéologique [Giorgia Meloni] est une héritière de Mussolini : son attitude est celle d’une revanche. Son but, c’est de s’approprier tous les pouvoirs qui ont échappé à son camp pendant soixante-dix ans. Parmi ces pouvoirs à conquérir, il y a la RAI », explique Peppino Ortoleva, spécialiste des médias italiens 2. Procès-bâillons, censures, déprogrammations, ingérences… les exemples ne manquent pas pour illustrer ce que l’extrême droite fait aux médias.
Le dernier épisode de ce contrôle gouvernemental date du 25 mai dernier, jour de fête nationale de la libération du régime fasciste et longtemps boudé par la droite radicale. Alors que l’écrivain à succès Antonio Scuati, connu pour ses œuvres sur Benito Mussolini, devait lire à l’antenne un texte célébrant la résistance antifasciste, il a été déprogrammé au dernier moment pour des raisons prétendument budgétaires. Loin de se laisser démonter, la journaliste Serena Bortone a décidé de lire elle-même l’intégralité de son texte à l’antenne. De quoi agacer l’AD de la Rai, Roberto Sergio, qui n’a pas manqué de le faire savoir : « Serena Bortone devait être virée pour ce qu’elle a fait ! Elle n’a pas été virée. Elle n’a pas été punie ! »
L’écrivain et journaliste Roberto Saviano est une autre cible de Meloni. En 2023, l’auteur de Gomorra avait commencé à produire une émission télévisée, « Insider, faccia a faccia con il crimine » (Insider. Face à face avec le crime), visant à révéler les atrocités et opérations criminelles perpétrées par la mafia. Elle devait être diffusée en novembre 2023 par la RAI, mais a été déprogrammée par l’AD en poste. Même si un an après l’annulation du programme, celui-ci pourrait finalement être diffusé, l’influence du gouvernement dans le service public audiovisuel est telle qu’on est arrivé à parler de « TeleMeloni3 ». Certains journalistes non conformes aux goûts de la classe politique ont quitté le navire pour des médias plus « libres » politiquement (La7, Nove…), d’autres sont restés et font grève contre le « contrôle étouffant » du gouvernement Meloni qui souhaite faire de la RAI son porte-parole… grâce à une réforme antidémocratique faite par le Parti démocrate.
Loin de se restreindre aux médias, l’offensive de Meloni vise l’ensemble de la production culturelle et intellectuelle. D’après une enquête d’Émile Poivet, elle avance ses pions partout – dans le cinéma, les musées, les théâtres – et peut compter sur la docilité du milieu : « Les cadres installés par la gauche qui ont su négocier le virage postfasciste pourront garder leur place ; les autres seront remplacés par de meilleurs soldats. Un pourrissement “par le milieu” encouragé par le haut, une histoire d’amour consentie entre le capitalisme créatif et le grand récit national, avec en bout de chaîne des treillis à la télé matin et soir4. »
1 Pour « subdivision » ou « parcellisation ». Système de marchandage hérité des années 1960 et censé garantir un « pluralisme » : les postes clés de l’audiovisuel public sont répartis entre les partis politiques gouvernementaux au fil des nouvelles majorités.
2 « La télévision italienne est le miroir sale de la politique du pays », La revue des médias, 12/06/2024.
3 « En Italie, la censure de l’écrivain Antonio Scurati met la Rai sous pression », Mediapart, 22/04/2024.
4 « L’extrême droite en Italie : la culture en chemise noire », Mouvement n°122, juin 2024.
Cet article a été publié dans
CQFD n°232 (juillet-août 2024)
Dans ce n° 232, un méga dossier spécial « Flemme olympique : moins haut, moins vite, moins fort », dans l’esprit de la saison, réhabilite notre point de vue de grosse feignasse. Hors dossier, on s’intéresse au fascisme en Europe face à la vague brune, on découvre la division des supporters du FC Sankt Pauli autour du mouvement antideutsch, on fait un tour aux manifs contre l’A69 et on découvre les Hussardes noires, ces enseignantes engagées de la fin du XIXe, avant de lire son horoscope, mitonné par le professeur Xanax qui fait son grand retour !
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Paru dans CQFD n°232 (juillet-août 2024)
Par
Illustré par Clément Buée
Mis en ligne le 15.07.2024
Dans CQFD n°232 (juillet-août 2024)