Édito

L’invité de l’édito : un candidat au bac prometteur

Un édito passionné d’éco.

Ce mois-ci, on vous le dit tout net : on n’avait aucune envie de se coltiner un édito sérieux qui aurait tiré à boulets rouges sur les flics ou la Macronie. Comme si une indigestion politique nous poussait à considérer les infos avec plus de morgue et de lassitude que d’habitude. Heureusement, on a parmi nos connaissances un camarade talentueux qui a passé le 12 mai dernier l’épreuve de spécialité Sciences économiques et sociales du bac – dont les questions à la tonalité néolibérale décomplexée ont suscité quelques levées de bouclier1. Ledit minot, à barbe fort marxienne, déplorait de n’avoir pu se lâcher lors de cette épreuve, sachant qu’il a déjà redoublé sept fois et professe une critique sociale certes rudimentaire, mais qui a le mérite d’être frontale (la valeur n’attend pas le nombre des années, bb). Alors, on lui a suggéré de refaire l’exercice en répondant aux trois mêmes questions, mais cette fois pour notre pomme. Voici le fruit de son labeur.

1. « À l’aide de deux arguments, montrez que le travail est source d’intégration sociale. »

Deux arguments seulement ? Mais attendez, il y en a beaucoup plus. Le boulot, ça permet de passer du temps avec sa (ses) moitié(s), ses mômes, ses amis, un peu à n’importe quelle heure, et quand ça nous chante. Et puis le turbin, c’est aussi la possibilité de se lancer dans diverses activités à forte valeur sociale ajoutée comme : donner des cours de trombone ou de Français langue étrangère, participer à des cantines solidaires, organiser des concerts de soutien, manifester devant le comico ou le Centre de rétention administrative pour libérer des camarades. Si, après tout ça, on a encore des forces à revendre, pourquoi ne pas s’impliquer dans un journal indépendant ? Généralement, il suffit d’y mettre le doigt pour s’y faire bouffer le bras – un peu comme un accident du travail, mais en plus folichon. Puis, de fil en aiguille, on peut se retrouver à tourner un film, écrire un livre, se lancer dans le maraîchage radical ou ouvrir un centre social autogéré. Et tout ça, le plus souvent, en compagnie de gens choucards, avec lesquels on partage de nombreux centres d’intérêt. Bref, socialement, c’est le top. Une intégration aux petits oignons. Quoi ? Pardon ? C’est le chômage qui permet tout cela, et pas le travail ? Ah zut. Hors-sujet, alors…

2. « À partir d’un exemple, vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance. »

Alors là, la question elle est vite répondue, vu comment elle est formulée chelou. Que signifie « reculer les limites écologiques de la croissance » ? Sans trop comprendre, on peut avancer que, petit un, « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », comme disait le poète ; petit deux, qu’il serait avisé d’aller jeter un œil à l’excellent bouquin d’un certain Mickaël Correia, Criminels climatiques (La Découverte, 2022), puis on reparlera de « l’innovation » qui « peut aider » à rien du tout à part pourrir la planète pour tout le monde en faisant du gros pognon pour quelques-uns et des gadgets pour mieux nous abrutir. Hop, question suivante.

3. « À l’aide d’un exemple, vous montrerez que l’action des pouvoirs publics en faveur de la justice sociale peut avoir des effets pervers. »

La main gauche des pouvoirs publics a effectivement un effet pervers, puisque certains croient que l’État est leur ami sous prétexte qu’il permet l’octroi d’allocations de misère. Non mais sans blague ! On nous force à bosser comme des damnés, et dès qu’on fait une petite pause bien méritée, il faudrait dire merci ? Cela dit, ça a parfois des aspects positifs. Par exemple, être contraint à balader un conseiller RSA pendant des mois avec de fausses lettres de refus d’embauche, ça développe l’esprit d’initiative. Et ça, c’est bon pour la société. Mais on n’a pas que ça à foutre non plus ! Y a des jours – nombreux – où on n’est pas dispo, avec des tas de trucs urgents à régler (voir réponse à la première question). Donc la justice sociale, c’est bien mais pas top non plus – ce qu’il faudrait, gros, c’est l’autogestion généralisée.

Pas sûr que notre camarade décroche son bac avec pareils arguments. Qu’importe, nul besoin de diplôme pour obtenir un poste de galérien à CQFD. Jeune, on t’embauche !

Dessin de L.L. de Mars
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CQFD n°210 (juin 2022)

Dans ce numéro de juin criant son besoin « d’air », un dossier sur la machine répressive hexagonale et les élans militants permettant de ne pas s’y noyer et d’envisager d’autres horizons. Mais aussi : un long reportage à Laâyoune, Sahara Occidental, où les candidats à la traversée pour les Canaries sont traqués par les flics marocains, une visite dans la Zone À Patates (ZAP) de Pertuis, un dialogue sur les blessures de la guerre d’Algérie, de la boxe autonome, une guérilla maoïste indienne, des Trous orgasmiques…

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