Cazères, 5 000 habitants, à 60 kilomètres au sud de Toulouse. Une petite ville qui a du mal à paraître joyeuse, surtout sous la pluie. C’est que l’ancien bourg agricole a perdu en vitalité, et fait bien pâle figure par rapport à la capitale régionale, promue « Nécropole d’équilibre » par l’État dans les années 1960. C’est pourtant là, à Cazères, qu’une bande de joyeux poteaux et potesses a décidé de racheter en commun une grande ferme à l’abandon. Au frontispice, le bâtiment affiche l’inscription « L’an 1901 » – un signe, sûrement. Pour tout le monde, l’endroit est désormais L’An 01 [1].
Le foncier n’est pas très cher dans la région, et la mise de fonds était d’autant plus réduite que la ferme était en mauvais état. Elle n’est pas encore totalement rénovée, d’ailleurs : trois ans après l’achat, les trois enfants et neuf adultes (plus ou moins trentenaires) n’habitent pas encore tous sur place. En attendant, ils réalisent eux-mêmes les travaux. Une fois ceux-ci terminés, chaque foyer aura son logement privatif ; toutes et tous partageront aussi des espaces communs (jardin, cuisine, locaux techniques, buanderie et bibliothèque). Pour chapeauter le tout, une structure juridique flexible, explique L’An 01 sur son site Internet [2] : « Nous sommes formellement des associé.e.s au sein d’une société par action simplifiée, coopérative, à capital variable. Cela nous permet de déconnecter le droit de vote du capital apporté, et d’accueillir facilement de nouvelles personnes. »
« C’est un projet intellectuellement et politiquement intéressant, un lieu d’apprentissage collectif, qui fonctionne beaucoup par coopération et entraide, développe Maud, qui habite là par intermittence. On a envie de rayonner, de donner envie à d’autres. D’autant que ce lieu vit aussi grâce aux “ enthousiastes ’’ [3], qui ne sont pas juste des potes filant un coup de main : ils apportent un regard sur le fonctionnement. La question de savoir comment les intégrer est récurrente. » Et ce n’est pas le seul sujet auquel les membres de L’An 01 apportent un soin particulier : « On fait très attention au respect des identités et orientations sexuelles, ainsi qu’à la répartition des tâches quotidiennes, précise Maud. Par exemple, on a instauré une sorte de permis dans le cadre des travaux. Avant d’utiliser pour la première fois un outil dangereux, chacun.e doit passer cinq minutes à apprendre à s’en servir avec un.e habitant.e qui le maîtrise – il s’agit de mutualiser les fonctions, ainsi que d’éviter la spécialisation et la division sexuée du travail. »
En filigrane, un projet politique, résumé par Maud : « Mettre nos vies en concordance avec nos idées : égalité des genres, démocratie directe, décroissance, etc. » Diego approuve. Après une période de tourisme universitaire, le jeune homme s’est trouvé une vocation : céréalier-boulanger bio. Quant à Alban, il a quitté son emploi d’ingénieur pour devenir jardinier et agriculteur. Il œuvre désormais sur un hectare de terre, dont 3 000 m2 de maraîchage sur sol vivant (sans labour ni engrais, avec paillage permanent), le reste accueillant les arbres fruitiers et les animaux d’élevage. Il en vit chichement, mais sans se tuer au labeur et sans l’isolement subi par la majorité des paysans.
Si le lieu se veut collectif, chacun choisit son niveau d’implication et définit son rapport au groupe. Certain.e.s souhaitent ainsi prendre tous leurs repas en commun, tandis que d’autres tiennent à préserver leur intimité. « On laisse le choix dans le curseur entre individuel et collectif, explique Alban. Mais il y a aussi des bornes qui sont posées collectivement. » Dont la participation à l’assemblée générale hebdomadaire – une fréquence de réunion régulière qui permet d’aborder rapidement les problèmes et d’éviter les non-dits. Parce que, bien sûr, tout ne peut pas être toujours rose. Le lot de toute utopie en construction.