Violences policières

Hello Kitty contre Robocop

La réforme des retraites a mobilisé tous les âges ! À Nanterre, le 18 octobre, ce sont les lycéens qui battent le pavé. Rapidement, les CRS chargent, cognent et embarquent. Refusant le rôle de chair à tonfa, les manifestants s’organisent dans des comités antirépression. Témoignages.
par Felder

L’État a été clair. Pas moyen que les lycéens des quartiers populaires rejoignent le mouvement contre la réforme des retraites. Alors à Toulouse, Saint-Denis, Montreuil, Lyon, Saint-Nazaire, Grenoble… les flics ont chargé. Le 18 octobre, au lycée Jolio-Curie de Nanterre, les CRS sont arrivés tôt pour mettre en place un barrage filtrant aux abords de l’établissement, avant l’arrivée des lycéens. Plusieurs centaines, venant de tous les bahuts de Nanterre, s’y rassemblent et la tension monte. « Les robocops se redéploient, prennent des jets de gommes, de canettes et quelques chassés, puis ils gazent et éclatent le cortège. Et là, ça part en vrille, les élèves partent à l’affrontement. D’autres unités de CRS arrivent, ça gaze de partout pendant que les RG filment au-dessus », explique Brandon, un des étudiants venus les soutenir. Ce jour-là, il s’est fait « tabasser » par la police puis arrêter avec un autre étudiant et deux lycéens. Ils sont accusés de violences aggravées en réunion, d’outrage et rébellion. Dès le lundi suivant, un élève écope de six mois de sursis et de deux mois ferme, un autre attendra son procès pendant quatre mois à la prison de Bois-d’Arcy. Le scénario se répète durant quatre jours : les lycéens de toute la ville se rassemblent et subissent déploiements policiers massifs, gaz, tirs de Flash-Ball. « Tout le monde veut se venger, c’est la folie, ça crée des groupes mobiles de partout », raconte Brandon. Pour faciliter la répression, ces journées ont été classées en « violences urbaines » – l’antiterrorisme du pauvre – et, depuis, la police travaille dur pour trouver des responsables. « Les flics étudient les vidéos prises chaque jour, identifient qui ils peuvent et qui ils veulent, puis ils raflent les gens chez eux », ajoute Marwane, lycéen exclu de son établissement pour avoir participé aux débrayages. Car la répression continue à l’intérieur du bahut où la proviseure sanctionne les élèves et les profs qui tentent de poursuivre la lutte. Fin novembre, le comité antirépression organisé à l’université comptabilisait une cinquantaine de perquisitions et plus de quatre-vingt-dix gardes à vue à Nanterre. Portes défoncées à l’aurore, parents bousculés, jeunes embarqués, déférés, certains incarcérés aussitôt. « Y a même un mec qu’ils ont perquise une deuxième fois avant de comprendre qu’ils l’avaient déjà embarqué », soupire Marwane. Certains, comme lui, ont persisté et se sont organisés aux côtés d’étudiants solidaires dans le comité antirépression. Ils sont une trentaine et cherchent ensemble des moyens de se défendre collectivement. Dans un coin de la salle où ils se réunissent, une étudiante prépare des badges à vendre pour alimenter la caisse de solidarité. Sur le premier est écrit « Nous sommes tous des casseurs », sur un autre, Hello Kitty allume un cocktail.

Des expériences similaires sont menées ces dernières années un peu partout en France. Souvent créées à la suite de cas particuliers, elles tentent de perdurer et de s’élargir : caisses permanentes de solidarité avec les inculpés, autoformations sur les gardes à vue et la prison, réseaux d’information, d’entraide et d’action contre les coups de tonfa et les condamnations lourdes. Le forum contre la répression qui s’est tenu à Poitiers les 13 et 14 novembre a réuni des membres de collectifs de résistance à la répression et aux violences policières de Toulouse, Bordeaux, Périgueux, Saint-Nazaire, Tours, Blois, Poitiers et Paris. Durant les échanges, plusieurs constats se rejoignent : il faut pérenniser ces formes de résistance collective et de solidarités et « mettre en commun les forces, les idées et les moyens car la répression est permanente », comme l’explique un membre du réseau autogéré Résistons ensemble aux violences policières. Des idées reviennent au cours des discussions. La volonté de ne pas faire de différence entre des réprimés dits « politiques » et d’autres dits « sociaux », puis de coordonner les luttes contre la répression des « mouvements sociaux » et des quartiers populaires. Ces dernières sont généralement passées sous silence. Mais les comités « Justice et vérité » pour Ali Ziri, pour Lamine Dieng, pour Mohamed Boukrourou ou pour Hakim Ajimi1 restent mobilisés et appellent à la solidarité. Ces résistances sont multiples, se développent et se réorganisent comme l’ont montré les deuxièmes rencontres des luttes de l’immigration, les 22 et 23 novembre à Marseille.

Le forum contre la répression a émis un « Appel de Poitiers » pour fédérer ces expériences et faire du samedi 19 mars 2011 une journée d’actions locales, de coordination et de solidarité contre toutes les formes de répression. Prends garde, Robocop : si tous les chatons que tu bastonnes te pissent dans les circuits…


1 Ali Ziri, 69 ans, décédé à Argenteuil le 9 juin 2009 suite à un contrôle de police. Lamine Dieng, 25 ans, décédé à Paris le 17 juin 2007 dans un fourgon de police. Mohamed Boukrourou, 41 ans, décédé à Valentigney (Doubs) le 12 novembre 2009 dans un fourgon de police. Hakim Ajimi, 22 ans, décédé à Grasse (Alpes-Maritimes) le 9 mai 2008 lors de son transfert au commissariat.

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Paru dans CQFD n°84 (décembre 2010)
Par Mathieu Rigouste
Illustré par Felder

Mis en ligne le 04.01.2011