La société civile « Bayonnée »

G7 : un contre-sommet noyé dans le kaki

Depuis l’émergence du mouvement altermondialiste, jamais un contre-sommet du G7 n’avait connu une si faible mobilisation. En cause notamment, la militarisation du maintien de l’ordre, la « neutralisation stratégique » du mouvement social, des arrestations arbitraires et des interdictions administratives de territoire.
Par Patxi Beltzaiz

Ce samedi 24 août, Bayonne baigne dans un étrange mélange de farce et de régime totalitaire. Alors que le G7 de Biarritz a débuté à quelques kilomètres de là, les autorités ont interdit tout regroupement. Le marché hebdomadaire a été annulé et la plupart des vitrines de commerces sont barricadées. « Il y a plus de flics que de passants  ! », s’amusent, amers, les quelques habitants qui tentent de poursuivre une vie normale.

L’ensemble de la vieille ville est en effet quadrillé de « check-points », où des gendarmes mobiles exigent les papiers d’identité et fouillent minutieusement les sacs à dos. En permanence, rue d’Espagne, se succèdent véhicules de la brigade anti-criminalité (Bac), faux touristes, flics en civils à vélo (peu crédibles) et même d’interminables lignes de voltigeurs à moto bleu marine. En tout, au moins 13 200 policiers et gendarmes auraient été mobilisés pour ce G7, mais aussi des kilomètres de barrières et tout un arsenal technologique de surveillance.

Bloqués sans raison

Cependant, vers 17 h, la chape de plomb s’écaille quand des centaines de personnes affluent spontanément au café des Pyrénées, dans le quartier populaire du petit Bayonne, autrefois place forte du mouvement indépendantiste basque. C’est le contre-sommet off, non relayé par les grandes organisations altermondialistes. Dans le brouhaha, on comprend vite qu’il y a là des gens issus d’horizons politiques très divers : des citoyens lambdas, des antifas et anarchistes en tous genres, une poignée d’autonomes allemands, des indépendantistes basques...

La tension monte rapidement. Dans ses véhicules banalisés, la Bac provoque délibérément en klaxonnant et en frôlant le cortège qui déborde sur la chaussée. Véritable théâtre post-moderne : un bon quart des personnes présentes sont des journalistes et leurs gardes du corps (BFM-TV, LCI, C-News…). Et puis, sans raison apparente, le Groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) boucle entièrement le quartier, en positionnant des « camions-barrières » sur les cinq ponts qui séparent le « petit » du « grand » Bayonne. À l’abri derrière, boucliers saillants et casques baissés, les gardes mobiles empêchent de retraverser la Nive. Coincés toute la soirée, les opposants au G7 ne parviendront pas à élaborer une stratégie collective efficace, que ce soit dans la confrontation avec les forces de l’ordre ou dans la dénonciation du verrouillage du quartier. En butant sur ce dispositif militaro-policier démesuré, les manifestants ont juste offert aux médias dominants les quelques images d’arrestations et de pluies de lacrymogènes qui ont tourné ensuite en boucle pendant toute la durée du sommet.

Divers travaux sociologiques ont montré que, ces dernières décennies, pour faire face aux mobilisations altermondialistes, les autorités ont progressivement militarisé le maintien de l’ordre : usage d’armes sublétales, érection de grandes barrières de béton, déferlement d’unités d’élite, tactiques d’encerclement et d’embuscade… Biarritz n’a pas fait exception : l’armée française était déployée au sommet des montagnes basques ainsi que sur des navires de guerre patrouillant au large, au point de brouiller la frontière séparant le maintien de l’ordre d’un conflit armé extérieur. Pour arsenal, la totale : avions Rafale, hélicoptères Fennec avec tireurs d’élite, frégate de lutte anti-sous-marine, missiles sol-air Crotale, radars tactiques, commandos marine…

Le calvaire du contre-sommet « officiel »

Sous les bannières « G7 Ez ! » (« Non au G7 » en basque) et « Alternatives G7 », altermondialistes, anticapitalistes, écologistes, féministes et abertzale1 s’étaient rassemblés à 20 kilomètres de Biarritz, entre le village d’Urrugne (camp de base), Hendaye (« Rencontres intergalactiques ») et Irun (conférences). Si l’enthousiasme était palpable le premier jour, il s’est vite tari en raison de la distance géographique entre les trois lieux et des nombreux contrôles policiers sur le trajet.

En analysant les sommets internationaux, les chercheurs John Noakes et Patrick Guillham2 ont théorisé les notions de « neutralisation stratégique » : la mise en place d’un dispositif hybride de surveillance, d’interdictions préalables, de négociations inconséquentes et de gain de temps. C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les difficultés rencontrées par la plateforme « G7 Ez ! » dans l’obtention des autorisations pour définir un lieu de contre-sommet aux abords de Biarritz.

La ville de Bayonne apparaissait comme une évidence. Cependant, dès le mois de février, l’État a manœuvré pour éloigner géographiquement l’opposition, fragmenter les lieux de contestations et concéder au compte-goutte les autorisations. Autre entrave à la contestation : les interdictions administratives de territoire (IAT) ordonnées par le ministère de l’Intérieur. « L’un des leaders de la plateforme “G7 Ez  !”, Joseba Álvarez, a été contrôlé près d’Urrugne et on lui alors notifié qu’il était sous le coup d’une IAT diffusée en juillet, comme 500  autres personnes », rapporte Egoitz Urrutikoetxea, un des organisateurs du contre-sommet.

Finalement, 15 000 personnes seulement se sont retrouvées pour la « grande » manifestation officielle contre le G7 le samedi matin à Hendaye, et ce dans un territoire qui réunit pourtant chaque année plus de 100 000 personnes dans les rues de Bilbao pour le rapprochement des prisonniers basques. La « neutralisation stratégique » réussie par les autorités a aussi contraint les deux plateformes organisatrices à annuler dès le samedi soir le dispositif de la manifestation arc-en-ciel, initialement prévue le dimanche sur sept localisations différentes autour des zones ultra-sécurisées de Biarritz3.

Trois Allemands en détention

En amont du sommet, alors que la menace des « black blocs » était sans cesse brandie par les médias dominants, beaucoup craignaient surtout une répression policière sans précédent, dans le prolongement de celle qu’a subie le mouvement des Gilets jaunes. Au final, du 19 au 26 août, « seules » 168 personnes ont été interpellées et 119 placées en garde à vue, ce qui a donné ou donnera lieu à une cinquantaine de poursuites judiciaires4.

Ceci tend à montrer que le dispositif hors norme des autorités a véritablement anesthésié le mouvement social. Mais à quel coût ? L’accueil grand standing des délégations étrangères, la logistique militaro-policière, l’arsenal technologique de surveillance et les moyens judiciaires mis en œuvre laissent deviner une enveloppe frôlant le milliard d’euros5.

Cette mise en sourdine des oppositions s’est également faite au prix d’une inquiétante restriction des libertés : à Biarritz et ses environs, les journalistes ont été tenus à l’écart à de nombreuses reprises. Amnesty International a pour sa part dénoncé le blocage de ses observateurs et le placement en garde à vue de trois observatrices de la Ligue des droits de l’Homme. Par ailleurs, trois jeunes Allemands, interpellés à un péage autoroutier quelques jours avant le sommet, ont été condamnés à deux et trois mois de prison ferme pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ». Selon RFI, ils étaient en possession « de cagoules, d’un marteau brise-glace, d’une bombe lacrymogène, d’une clé à molette et de documents présentés par le substitut du procureur comme des écrits d’extrême gauche ». Sans même avoir pu rejoindre le théâtre du barnum sécuritaire, ils sont actuellement en prison6.

Jean-Sébastien Mora
Photo de Patxi Beltzaiz / Contre-faits.org

1 Gauche basque indépendantiste.

2 « Police and protester innovation since Seattle », Mobilization vol. 12, 2007.

3 Note de la rédaction : Le Canard enchaîné a diffusé (28/08) une information selon laquelle ce retrait était la conséquence d’un deal entre le ministère de l’Intérieur et les organisateurs. Cela a été formellement démenti par lesdits organisateurs et semble un peu « gros ». Mais renvoie également (par la bande) à certaines critiques des militants extérieurs les plus radicaux venus sur place, estimant que l’organisation aurait imposé une approche démesurément pacifiste et frileuse des actions menées.

4 Déclaration du parquet de Bayonne à l’AFP (29/08/2019).

5 Malgré les appels à la rigueur, le coût total du G20 de Toronto, organisé en 2010, s’est élevé à 942 millions d’euros.

6 Selon le « collectif antirépression du contre-sommet du G7 », deux autres personnes ont été mises sous écrou, après que leur aménagement d’une peine ancienne a été annulé.

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