Retour sur Bloquons tout

Eurolinks : un grain dans la machine militaire

Des centaines de personnes se sont relayées tout au long de la journée pour bloquer l’usine Eurolinks, mettant ainsi à l’arrêt la production de l’entreprise exportatrice de maillons de munitions en Israël. Récit d’une action réussie.

L’entreprise Eurolinks, dans toute son abjection, a bien un mérite : faire passer la « convergence des luttes » d’un appel incantatoire fétichisé à une réalité bien matérielle. Dans le nord de Marseille, son usine emploie des travailleurs intérimaires précarisés pour fabriquer des maillons de munitions, dont certaines sont envoyées à l’État israélien. Tout y est, complicité du génocide à Gaza, exploitation des travailleurs français et militarisation du monde. Comme cible pour le 10 septembre, Eurolinks se posait là. Certes, il y avait match avec Belzébuth, mais la bête à cornes étant introuvable ce jour-là, c’est devant les grilles de l’entreprise d’armement que se sont retrouvés les « Septembristes ».

Alors que le soleil ne dévoilait pas encore ses premiers rayons, une petite centaine de noctambules en habits bigarrés dispersait des pneus et dressait des barricades à l’entrée de l’usine. À partir de 6 heures 30, aucun employé n’entrera plus. Quelques-uns, soumis au rythme infernal des 3x8, se trouvaient déjà à l’intérieur pour faire tourner les machines toute la nuit. Ils sortiront, sur les coups de 10 heures, traversant une haie de déshonneur formée par les militants sous les chants d’« Eurolinks assassine les enfants de Palestine ». Un sentiment de compassion traverse ces mêmes militants à la vue de leurs mines peinées derrière les vitres de leur voiture. Malheureusement, ce n’est pas en ce 10 septembre que se fera l’alliance avec eux contre leur patronat. Exception faite d’une salariée peut-être, débarquant dans l’après-midi pour prendre son poste, manifestement pas au courant des perturbations en cours. « Je suis Algérienne moi alors je suis avec vous ! », lance-t-elle, contente de se retrouver au chômage technique. Séparée des activistes par une barricade, elle s’explique dans un échange chaleureux : « J’ai commencé la semaine dernière. Lors de mon entretien, je leur ai demandé s’ils envoient des composants militaires à Israël. Ils m’ont répondu que non. »

La production arrêtée

Après le départ des derniers travailleurs, le silence des machines se fait enfin entendre et annonce l’arrêt de la production. Point bonus : deux camions de livraison de matériel ont été forcés de rebrousser chemin devant les portes. Encouragés par les klaxons de soutien des automobilistes et ravitaillés par la cantine solidaire qui s’est montée en centre-ville pour le 10, les militants tiennent jusqu’au soir où arrive une armée de CRS. Rabat-joie parmi les rabat-joie, ils imposent l’évacuation des lieux aux alentours de 20 heures 30 à grand renfort de gaz lacrymogènes. Les forces de l’ordre s’étaient pourtant montrées étrangement conciliantes jusqu’alors. Les témoins les plus optimistes affirment même avoir observé un fugace rictus être arraché de leur bouche par les facéties d’une troupe de théâtreux grimés en gendarmes-clowns.

Agir sans prévenir

Le blocage, préparé sous les radars, n’avait pas été annoncé à l’avance sur les réseaux sociaux. La discrétion et l’organisation, voilà peut-être des pistes à explorer pour réussir une action en dehors des sentiers de la légalité. Il a ainsi fallu attendre près d’une heure après le début de l’opération pour voir poindre les premières lumières des gyrophares. Les manifestations sauvages du centre-ville qui ont distrait la police une bonne partie de la journée ne sont peut-être pas non plus totalement étrangères au succès de l’obstruction d’Eurolinks. Pour preuve, lorsque le couvert est remis pour un deuxième round le 18 septembre et que les blocages sont moins nombreux à Marseille, les forces de l’ordre évacuent le barrage humain bien plus tôt. De cette action peut être tiré un bilan : la production de maillons a été très concrètement mise à l’arrêt durant une journée entière sur un site de production. Trop peu pour déstabiliser significativement la chaîne d’approvisionnement militaire. Suffisamment pour constituer un symbole inspirant et donner au mouvement confiance en sa propre force.

Roman

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Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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CQFD n°245 (octobre 2025)

Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.

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