Dans mon salon

En attendant d’en découdre

Trottiner d’un stand à l’autre, se glisser parmi les exposants, observer et prendre note, s’approprier un salon. Ce mois-ci, Puget fête le fil dans le Var. On brode en mode résistance.
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« C’est le nouveau DMC ?
—  Exact.
—  Je me disais aussi, on le reconnaît direct… » Non, cet échange ne provient pas du Salon de l’auto. Le DMC désigne une marque de fil en coton mouliné. Puget fête le fil, salon très féminin – mais pas moins technique –, réunissait des passionné·es de broderie à Puget sur Argens (Var), les 17 et 18 mai.

Ici, pas de startup ou d’industriels, l’entrée est gratuite et l’ambiance familiale. Muriel, organisatrice de l’événement, tient elle-même l’accueil entourée de ses filles. « Ils ont tous essayé la broderie dans la famille, mais il n’y a que moi qui en soit vraiment piquée  », raconte-t-elle, avant d’ajouter qu’en tant que mère de cinq enfants, le maniement de l’aiguille lui sert de déstressant : « Ça devrait être remboursé par la sécu ! » Parmi les stands, des images attendues : canevas de chats mignons, torchons et coussins ornés du sempiternel home sweet home. Pourtant, quand on écoute les brodeuses, on réalise que le sens de leur activité déborde largement des murs cernant la prison que peut constituer, pour une femme, l’intérieur d’une maison. « Détruire, pour mieux reconstruire.  » Vanessa définit ainsi la pratique du patchwork : elle déchire des tissus pour les réassembler à son goût. « Avant je faisais de la peinture, dit-elle. C’est un peu pareil. Les tissus sont comme une palette de couleurs. »

La question artistique revient sur toutes les lèvres. Et le milieu compte des sommités. On me recommande la visite du stand de Jean-Marie. Je râle intérieurement à l’idée que l’artiste reconnu soit ici aussi un mec. C’est comme en cuisine. Alors que les femmes se coltinent les fourneaux depuis la nuit des temps, y’a pas masse de cheffes étoilées… Je pense aux œuvres vibrantes de Ghada Amer, artiste égyptienne, féministe et décoloniale, peintre, sculptrice et brodeuse de haut vol. Ça me refile la pêche. Jean-Marie est plus classique, mais il se débrouille sacrément bien. Peintre en bâtiment à la retraite, ça fait vingt ans qu’il brode 7 h par jour. « Une drogue  », dit-il, fier d’être le fournisseur officiel de la famille princière monégasque. Sa meilleure came ? Un portrait de Reiner III. « 400 heures de travail, glose-t-il. Mais quand on brode, le temps file et on oublie tout. Même Macron et sa politique qui nous étrangle.  » Le fil aurait donc cette fonction ? Dénouer la corde qui enserre notre cou ?

Avec son amie Françoise, on circule entre divers travaux d’aiguille – exposés mais pas à vendre. Elle m’explique avec douceur et pédagogie la différence entre le point compté, le point lancé et le blackwork. « Vous voyez comme la personnalité de chacun ressort à travers la technique utilisée ? On nous pousse toujours à être rentables, mais quand on se concentre et qu’on a le temps, on se trouve. C’est un acte de résistance. » Est-ce qu’elle n’essaierait pas de faire passer le grand soir par le chas d’une aiguille ? Et pourquoi pas ?

Par Pauline Laplace
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Cet article a été publié dans

CQFD n° 231 (juin 2024)

Dans ce numéro de juin, on écoute le vieux monde paniquer. On suit les luttes des personnes trans pour leurs droits, on célèbre la mort de Jean-Claude Gaudin, et on s’intéresse à la mémoire historique, avec l’autre 8 mai en Algérie. Mais aussi un petit tour sur la côte bretonne, des godes affichés au mur, de la danse de forêt et un aperçu de l’internationalisme anarchiste. Bonne lecture !

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Paru dans CQFD n° 231 (juin 2024)
Dans la rubrique Dans mon salon

Par Pauline Laplace
Mis en ligne le 21.06.2024