Dossier : Blocages partout !

Introduction

Par Etienne Savoye.

« On bloque tout. » Le mot semble surgir d’un manuel de l’ultra-gauche, mais ce sont des militants de syndicats majoritaires qui l’arborent sur les piquets de grève. Philippe Martinez est-il devenu, comme l’insinue Valls, un anti-système ? Certainement pas, mais il sait que si la nouvelle donne du capital radicalisé s’impose, seul le béni-oui-ouisme sera toléré. De fait, exemplaire comme elle sait l’être, la CFDT se pâme devant la loi Travail et son compte personnel d’activité (CPA) qui, en reconduisant l’emploi comme seul horizon, ne fait qu’aggraver les inégalités sociales tout en boostant une flexibilité chère aux employeurs.

Lasse de toujours devoir abandonner la partie à la suite de tractations obscures et au moment où le rapport de forces pouvait enfin basculer, la base gronde. Une base consciente que la généralisation du précariat sonne le glas des grandes journées d’action et de leurs manifs « rang-tant-plan ». Consciente également que donner la primauté aux accords d’entreprise, c’est livrer les travailleurs aux chantages patronaux. Retour vers le futur : bien plus que l’impuissance des défilés ou que l’affrontement rituel avec la police, les armes des dépossédés pourraient être à nouveau, comme du temps de la première CGT, le piquet volant, le sabotage et, bien sûr, le blocage des flux de marchandises.

Avec le retour d’une classe ouvrière combative – pourvu que ça dure ! – la tension ne peut que monter. Et le gouvernement socialiste s’y entend, en stratégie de la tension. Il a lâché ses chiens contre la joyeuse mobilisation des lycéens – dont toute une génération a appris la rue et ses dangers à marche forcée –, puis contre les syndicalistes qui bougent. Les blessés s’accumulent – à l’heure où nous bouclons, une personne est encore dans le coma – et la manipulation politico-médiatique se déploie contre ces « groupes organisés » – les casseurs, étrange sujet aux contours mal définis devenu miroir des violences de l’État1.

La radicalisation des comportements policiers s’appuie sur une fascisation de leur esprit de corps, mais ce sont Valls et Cazeneuve qui les inspirent. Côté FN, Florian Philippot se garde bien de s’opposer au mouvement social. Côté Les Républicains, le maire du Havre rappelle fort habilement que la CGT a de quoi se sentir cocufiée par un Hollande qu’elle a soutenu en 2012. À force de dramatiser, les coups de menton de Valls invoquent le spectre du social-démocrate allemand Gustav Noske qui, en 1919, lançait des tueurs en uniforme contre Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg : « Il faut que quelqu’un mette enfin ces fauteurs de troubles hors d’état de nuire.  »

Reste l’Euro de football, dont une contestation à la brésilienne hante les ministères. Et l’horizon électoral de 2017. Christian, beau-père du jeune Achille – qui a pris un FlashBall en pleine poire –, se demande s’il pourra encore voter. Lorrain, il se souvient des sidérurgistes trahis. Bossant dans le BTP, il peste contre la loi qui le met en concurrence avec des travailleurs détachés de Pologne ou du Portugal. Nombreux sont ceux et celles qui rejoindront l’abstention, sans que déserter cette pantalonnade ne soit synonyme de défection politique. Au contraire, ce qu’un mouvement de cette ampleur laisse dans les cœurs, c’est une nouvelle détermination à nous réapproprier nos engagements, nos places publiques, nos vies… Des piquets de grève aux Nuits Debout et aux luttes de quartier.

Bonus : Luttedesclassophobia

Les tweets d’Apathie 1 (24 mai) : « Aucun journaux demain parce que la #CGT livre empêche l’impression. En fait, c’est la CGT qui gouverne et nous ne le savions pas. » Doit-on comprendre que gouverner c’est empêcher les impressions ?

Les tweets d’Apathie 2 (25 mai) : « La #CGT veut étendre le mouvement aux centrales nucléaires et à l’électricité. Prochaine étape, la guerre civile ? L’appel aux armes ? » Ou qu’Apathie la ferme... juste un peu, genre cinq minutes ? Possible ?

Un joli twett de France3 Normandie : « #manif26 mai La police dissout les derniers manifestants de la manif sauvage à #Caen #LoiTravail » À l’acide dans un baignoire ? #BreakingBad...

Nathalie Saint-Cricq (France 2) : « Jouer l’explosion sociale, c’est prendre la responsabilité qu’il y ait un accident, un blessé ou un mort. [...] C’est un pari risqué de se mettre à dos durablement l’opinion publique. Exiger purement et simplement le retrait de la loi El Khomri, c’est jouer un va-tout qui n’a pratiquement aucune chance d’aboutir. » Si la police tue quelqu’un… ça sera la faute des syndicats. Implacable logique...

Emmanuelle Ducros (du « libéral, européen et pro-business » L’Opinion : « Vous tous qui étiez #Charlie, comment vivez-vous qu’un syndicat décide de ce qui se publie ou pas en France ? #CGT #libertedelapresse » Conclusion ? CGT=Daesh… fallait oser !

François Fillon (ex Premier ministre, sur son site de campagne) : « Je dis halte à la dictature de la minorité ! Notre pays n’a pas les moyens de s’arrêter de travailler ni de perdre son énergie à chercher désespérément une pompe à essence approvisionnée. » Et si toute l’énergie du pays était consacrée à faire voir à Fillon (et les autres) de quel bois on se chauffe ?

Eric Ciotti (député LR, Assemblée nationale le 18 mai) : « Ce matin, plusieurs milliers de policiers ont exprimé leur colère face au déchaînement de violences dont ils font preuve depuis maintenant plus de deux mois. » Voilà un bien beau lapsus qui claque bien !

Manuel Valls (le 25 mai à l’Assemblée nationale : « Nous considérons que les Français doivent pouvoir s’apprivoiser… s’approvisionner... » Un bien beau lapsus dû à un coup de pompe ?

François Asselin (Chef de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises) : « Ceux qui bloquent aujourd’hui sont les nantis de la République. » Les nantis sont les ouvriers. Les patrons en sont les opprimés. 1984 n’est jamais loin en 2016.

Caroline Fourest (Editotorialiste, « Les casseurs d’unité », France Culture, lundi 23 mai) : «  Faut-il rappeler que les forces de l’ordre peuvent être tirées comme des lapins, à tout moment, par des fanatiques en cagoule croyant jouer à la guerre sainte. Ils sont déjà bien assez épuisés, par des milliers d’heures supplémentaires, pour ne pas avoir à jouer à Kung Fu Panda avec des faux rebelles à capuche, croyant rejouer Mai-68 ou la Commune.  » Arrête ton cinéma, ces lapins-là sont armés jusqu’aux dents.

David Haziza (« Je suis flic », dans la revue de BHL La Règle du jeu, 24 mai 2016) : « Les “casseurs”, ces rejetons privilégiés de l’une des bourgeoisies les plus bêtes et les plus prétentieuses de l’histoire, qu’elle soit d’ailleurs de la droite sarkozyste ou de la gauche bien-pensante, n’en ont que faire. Ils ne savent pas et ne veulent pas savoir comment fonctionne une entreprise. Ils ignorent et s’efforcent d’ignorer ce qui est bon, à court ou à moyen terme, pour l’économie d’un pays – et donc pour ses travailleurs. » Tandis que David, thésard à New York, lui, il sait ce qui est bon.

Last but not least, hashtag de Julien « Tewfiq » Gaunet (auteur dramatique) : #UnTShirtPourMacron ! En réponse à la sortie du sinistre de l’Économie chahuté par des anti-loi Travail : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ».


1 À ce propos, il faut lire la salutaire tribune, parue dans Libération (26/05), qui démonte ces manœuvres et appelle au soutien inconditionnel des mis en examen. Un appel « à déjouer toute tentative de les isoler, de les instrumentaliser et à lutter pour l’abandon des charges extravagantes pesant sur eux : bref, à renverser l’accusation. »

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