« Une envie irrépressible de liberté »

Des bandes de jeunes contre les nazis

Avec Meutes, Swings et Pirates de l’Edelweiss, l’historien allemand Sascha Lange nous plonge dans l’univers méconnu des bandes de jeunes sous l’Allemagne nazie. Une histoire de contre-cultures en résistance par la danse comme par les poings.

« Le spectacle de 300 personnes qui dansaient était terrifiant. Aucun couple ne dansait de façon à peu près normale. Les gens swinguaient de la façon la plus ignoble et la plus extrême […]. Chez certains on pouvait même sérieusement douter de leur santé mentale », rapporte un membre halluciné de la patrouille des Jeunesses hitlériennes (JH) en infiltration dans une fête à Hambourg. Nous sommes en Allemagne en février 1940 et les nazis n’arrivent pas vraiment à faire appliquer leurs lois visant les jeunes (adhésion obligatoire aux JH, couvre-feu, censure politique et culturelle, participation à l’effort de guerre…) Cela fait pourtant plus d’une décennie que l’État fasciste en devenir surveille cette jeunesse allemande qui a soif d’autonomie et de vie culturelle, et qui se regroupe en bandes – composées d’un quart à un tiers de filles – pour organiser des activités en dehors de la tutelle des adultes, de l’État et des partis politiques… Mais dans cette Allemagne crépusculaire, partir en excursion dans la nature, écouter les derniers vinyles de swing, chanter des chansons populaires ou s’habiller selon ses propres codes revient à défier le IIIe Reich.

De l’histoire peu connue des bandes de jeunes en Allemagne, l’historien allemand Sascha Lange nous fait un passionnant tour d’horizon dans Meutes, Swings et Pirates de l’Edelweiss : contre-cultures jeunes dans l’Allemagne nazie (éditions BPM, 2025). Qu’elles soient issues de la classe ouvrière ou bourgeoise, politisées (de gauche ou de droite) ou non, organisées ou informelles, toutes avaient en commun de refuser, consciemment ou non, l’endoctrinement – puis l’enrôlement – du régime nazi, en chantant, en dansant ou en se bastonnant. « Notre groupe ne s’intéressait pas à la politique et ce sont les nazis qui nous ont poussés à la confrontation en raison de nos goûts musicaux, de nos accoutrements et de nos coiffures », se remémore Heinz Koch, de la Meute des Hallois de Gosen, à l’ouest de Leipzig. Une résistance au conformisme que Johann Chapoutot qualifie, dans la préface, de Resistenz au sens de résistance des matériaux, où la lutte « c’est peut-être moins faire dérailler un train ou tenter d’assassiner Hitler que croiser les bras lorsque tout le monde le tend ».

Mais au fil de la guerre la répression s’intensifie et, surveillés par la Gestapo ou victimes de dénonciation, des centaines de jeunes sont condamnés, non plus à une journée de formation après s’être fait coupé les cheveux, mais à de la prison ferme, aux camps de travail, ou tout simplement condamnés à mort et exécutés en prison, pour un tract, des graffitis ou une bagarre de rue. Reste qu’on ne tue pas si facilement « une envie irrépressible de liberté » et cet ouvrage touffu où s’entrecroisent récits de luttes, images d’archives, témoignages des jeunes de l’époque, rapports de la Gestapo et – comme il est de coutume avec les éditions BPM1 – beaucoup de références musicales, est un appel à retrouver le goût et l’urgence de swinguer contre le fascisme.

Jonas Schnyder

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

Nous, c’est CQFD, plusieurs fois élu « meilleur journal marseillais du Monde » par des jurys férocement impartiaux. Plus de vingt ans qu’on existe et qu’on aboie dans les kiosques en totale indépendance. Le hic, c’est qu’on fonctionne avec une économie de bouts de ficelle et que la situation financière des journaux pirates de notre genre est chaque jour plus difficile : la vente de journaux papier n’a pas exactement le vent en poupe… tout en n’ayant pas encore atteint le stade ô combien stylé du vintage. Bref, si vous souhaitez que ce journal puisse continuer à exister et que vous rêvez par la même occas’ de booster votre karma libertaire, on a besoin de vous : abonnez-vous, abonnez vos tatas et vos canaris, achetez nous en kiosque, diffusez-nous en manif, cafés, bibliothèque ou en librairie, faites notre pub sur la toile, partagez nos posts insta, répercutez-nous, faites nous des dons, achetez nos t-shirts, nos livres, ou simplement envoyez nous des bisous de soutien car la bise souffle, froide et pernicieuse.

Tout cela se passe ici : ABONNEMENT et ici : PAGE HELLO ASSO.
Merci mille fois pour votre soutien !


1 « Bouquins de zik : “Des trucs qui te tiraillent en restant populaires” », CQFD, n° 223 (octobre 2023).

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire

Cet article a été publié dans

CQFD n°247 (décembre 2025)

Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.

Trouver un point de vente
Je veux m'abonner
Faire un don