Radios libres – « Avanti popolare ! »

De Radio Popolare à Radio Bandita, un parcours d’ondes

Une véritable tranche d’histoire radiophonique italienne ! En 1998, Lorenzo Valera commence à présenter les infos sur Radio Popolare, à Milan, une antenne née dans les années 1970 dans le sillage de l’autonomie ouvrière. En 2001, il réalise un reportage remarqué sur les violences policières lors du contre-sommet du G8 à Gênes. Il connaît ensuite le succès avec son émission « Onda anomala », avant d’opter pour l’anonymat d’une webradio pirate. Rencontre.
Par JMB

Fondée en 1976 à Milan, Radio Popolare a longtemps été l’expression de l’autonomie ouvrière italienne et des salariés en lutte. Depuis son lancement, c’est une coopérative dont la voix porte les mots de ceux qui n’ont pas la parole : les jeunes avec « Rubrica giovani », Dario Fo censuré à la RAI, l’antenne ouverte à tous. Des attentats de Bologne à la Guerre du Golfe, elle ne mâche pas ses mots, prenant position contre les mensonges des puissants. Logique, donc, que la radio se soit trouvée aux premières loges lors des sombres événements ayant ensanglanté Gênes en 2001.

Rappel : lors de ce contre-sommet du G8, un déchaînement de violence inouï s’abat sur les manifestants. Lequel conduit à la mort de Carlo Giuliani et cause des centaines de blessés. Des actes de tortures (qui ne seront reconnus qu’en 2017 par le chef actuel de la police) ont aussi lieu à l’école Diaz, où logent des manifestants, et à la caserne Bolzaneto, où sont amenées certaines des personnes interpellées. Une véritable boucherie, qui traumatise des milliers de manifestants. Ainsi que l’équipe de reporters envoyés par Radio Popolare pour suivre le contre-sommet. Ceux-ci sont littéralement effarés par la violence des forces de l’ordre : «  Même les scouts italiens et les bonnes sœurs ont été chargés, {{}}raconte l’un d’eux. Après l’attaque par la police de l’école Diaz, il y avait du sang partout…  »

Choc des mot, poids des directs

Lorenzo est l’un de ces reporters venus de Milan, chargés de suivre de près cet événement ayant marqué les contestataires européens. «  Nous devions y être,{{}} assure-t-il. Gênes 2001 s’inscrivait en effet dans un mouvement militant puissant, dans la continuité des contre-sommets de Naples en 1994 et de Seattle en 1999, lors desquels les manifestants avaient réussi à réellement gêner les réunions du G8.  »

En juillet 2001, des reporters de la radio sont donc présents partout dans la manifestation, jusqu’à l’école Diaz. Vingt personnes sont ainsi mobilisées pour suivre le contre-sommet, avec une organisation bien rodée : depuis Milan, en s’appuyant sur une carte d’état-major, la station distribue de courts directs à chacun de ses envoyés spéciaux. Leurs interventions précises, au plus près de la répression, s’avèrent très utiles : «  Une panique incroyable a suivi les attaques de la police. Et les gens écoutaient la radio pour savoir ce qui se passait et dans quel pièges ils risquaient de tomber.  »

D’autant que la répression est allée croissant : «  La police a attaqué le cortège par les côtés, à la lacrymo. Ça a été la panique générale{{}}, raconte Lorenzo. Des camionnettes de flics arrivaient dans tous les sens, les policiers en sortaient et chargeaient aussitôt, laissant leurs véhicules quasiment sans protection. C’est de l’un d’entre eux qu’un policier de 19 ans abattra Carlo Giuliani.  » Pour lui c’est clair : «  La police cherchait à tuer.  »

Après les événements, Lorenzo participe à la création d’un coffret de cinq CD revenant sur les trois jours de direct à Gênes. Celui qui suit alors l’actu des squats et des migrants se plonge à fond dans le projet : «  Le directeur, Danilo De Biasio, m’a dit de bosser trois mois là-dessus.  » Mais pas si simple de s’immerger. C’est que Lorenzo a lui aussi été frappé dans les rues de Gênes. Et il reste marqué par la violence policière : «  À l’époque, dès que quelqu’un frappait à la porte, on tressautait par crainte de voir débarquer les uniformes...  »

Ironie : le coffret décroche un prix décerné par la présidence de la République. Un comble. Lorenzo est chargé de recevoir le prix des mains des bourreaux. Un crève-cœur pour celui qui, dès son arrivée dans les locaux de Radio Popolare, s’est investi sans compter.

Une école radiophonique

«  À l’époque, on rentrait facilement à la radio, se souvient Lorenzo. C’était une super formation. C’est d’ailleurs la bibliothécaire de mon école, très militante, qui m’avait envoyé à 17 ans pousser la porte du studio.  » Il accroche.

«  Les infos du soir étaient réalisées par les bénévoles, chapeautés par un type extra, Lorenzo Marcandoli, magasinier chez Ikea.  » Point fondamental : le micro est ouvert à tous. Des syndicalistes peu à l’aise à l’oral se laissent ainsi emporter par leur enthousiasme. Quant au directeur Piero Scaramucci, qui a fondé la radio en 1976 (et qui la quitte en 2002 pour cachetonner à la RAI), il appelle les jeunes journalistes la nuit pour leur prodiguer des conseils. L’école est bonne. Exigeante. «  On faisait un gros travail sur l’emploi des mots. On combattait les termes du journalisme officiel, qui évoquait à chaque grève {{}}‘‘ le disagio ’’, les désagréments  », comme en France on parle à chaque mouvement social «  d’usagers pris en otage  » au journal de 20 heures.

Le premier reportage de Lorenzo, encore bien jeune, est le fruit d’un hasard. Remplaçant un journaliste malade, il part couvrir une grève des producteurs laitiers. Et apprend sur le terrain à conjuguer sérieux et bouts de ficelle : «  On n’avait pas de technicien, on travaillait sur des K7...  » Le début d’une jolie trajectoire radiophonique.

En 2002, Lorenzo lance une émission avec Michele Migone : « Onda anomala ». Tous les jours à neuf heures, il diffuse un nouveau sujet. «  J’étais à la radio dès 5 heures du matin. Et je faisais ma tambouille. Quand la rédaction m’imposait des sujets en rapport avec l’actu, je renâclais — je n’aimais pas cette contingence.  » Très vite, grâce à l’originalité de ses invités et de ses interventions, l’émission cartonne : 200 000 auditeurs suivent « Onda anomala ». Pour thème général : « Qu’est ce qui se passe dans le monde ce jour-là ? » Vaste sujet. Lorenzo tiendra trois ans à ce rythme effréné.

Si au début, la radio se finance avec des abonnements, elle s’ouvre petit à petit à la publicité militante, puis commerciale. Lorenzo s’y sent moins à l’aise. D’autant qu’au fil du temps, la structure évolue, devient moins coopérative. En 2001, la radio change de locaux et s’installe via Ollearo. Ce n’est plus aussi rudimentaire qu’avant. Il y a même des vigiles en bas de l’immeuble. On n’y entre plus comme dans un moulin, il faut montrer patte blanche.

En 2002, Lorenzo est invité sur une webradio pour parler de la censure. Les animateurs émettent depuis la chambre d’un squat, avec un modem 556. «  Alors que j’avais des milliers d’auditeurs, eux passaient toute la semaine à faire une émission écoutée par dix personnes.  » Retour au bricolage : c’est un nouveau souffle pour Lorenzo, qui réalise avec eux des émissions en direct de soirées. Ou bien, organise des stages de webradio axés autour des luttes. L’antenne s’appelle Radio Bandita. Moins populaire, plus anarchiste.

Christophe Goby
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Paru dans CQFD n°160 (décembre 2017)
Dans la rubrique Le dossier

Par Christophe Goby
Illustré par JMB

Mis en ligne le 28.01.2019