Voici l’étrange fortune d’une métamorphose graphique : nous sommes invités par Fabrice Erre à suivre le cheminement par lequel la poire, déprimée à son sommet et mollement charnue à sa base, s’est imposée comme silhouette des bourgeois grassouillets, comme blason de la face coulante d’un Louis-Philippe qui les incarna tous, et signifier le Régime tout entier dont elle devint la métonymie du monde et des idées jusqu’à venir incarner le néant politique même.
Qu’est-ce qui fixe une forme insignifiante dans la postérité ? Voici un livre qui dépasse brillamment son objet premier pour venir éclairer le fonctionnement général de la caricature, autant dans les causes historiques où elle prend corps que dans les effets par lesquels elle change la perception d’un monde, d’une société, où elle impose sa force de sédition.
Voici comment un fruit anodin au-delà du raisonnable, dont l’insignifiance ne la destinait à aucune postérité politique, s’épanouit dans la forme bourgeoise au point de lui imposer ses contours et devint la métaphore politique de la couardise, du consensus, de l’immobilité.
Fabrice Erre, Le Règne de la poire – Caricatures de l’esprit bourgeois de Louis-Philippe à nos jours, éditions Champ-Vallon, 2011.
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