Maternité & handicap
Comme si une femme handicapée n’était pas capable d’élever un enfant …
— Regarde, elle est sur un fauteuil. Tu crois que c’est son fils ?
— Non, c’est pas possible…
Ce genre de petites phrases assassines, la maman qui témoigne face à la caméra dans l’émission La Maison des Maternelles (France 5, 2017) y est confrontée « chaque jour ». Sans compter les « diverses difficultés » qu’elle rencontre depuis son accouchement, ni le « harcèlement » qu’elle subit de la part de la protection maternelle et infantile (PMI) de sa ville : « Pour eux, une femme handicapée motrice n’est en aucun cas capable d’avoir ni d’élever un enfant. »
Ce récit, à l’image de quantité d’autres, met en lumière un fait : la parentalité des femmes1 handicapées remet en cause l’image dominante de la « bonne mère ». Nombreux, les préjugés autour des personnes handicapées et de leur capacité à être parent sont encore aggravés quand ils croisent les biais sexistes. Les mères handicapées se retrouvent ainsi à l’intersection de deux oppressions : le sexisme et le validisme. Double peine. L’affaire qui a opposé Marie-Aimée Pénet à Nadia Medjahed en est la triste illustration. En 2015, la première, adjointe aux seniors, à la santé et aux handicaps à la mairie d’Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), aurait lancé à la seconde, chargée de la mission handicap au centre communal d’action sociale (CCAS) : « Pourquoi vous vous occupez d’un centre de périnatalité alors que les handicapés n’ont pas d’enfants ?2 » L’intéressée, elle-même en situation de handicap, aurait répondu qu’elle avait une fille à charge. Marie-Aimée Pénet lui aurait alors rétorqué : « Oui, mais vous, vous avez un mari pour s’en occuper » avant de conclure, au sujet des parents handicapés : « C’est rare, et c’est mieux : comment ils feraient pour s’occuper [des enfants] ?! » D’après des témoins, cités dans un rapport du Défenseur des droits, saisi après l’altercation, l’élue aurait été jusqu’à recommander la prescription de pilules contraceptives aux femmes en situation de handicap.
Sauf que, n’en déplaise à la société qui les considère comme des incapables, les femmes handicapées aussi font des enfants. Parmi elles, nombre se sont heurtées aux préjugés des médecins dès l’annonce du projet de parentalité. C’est ce qui est arrivé à Florence Méjécase, présidente de l’association Handiparentalité3 : « J’ai dû sélectionner des médecins bienveillants. [Parce que] certains m’ont fait des remarques du type : “Vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir un enfant”, ou encore : “Vous ferez forcément une fausse-couche”.4 » Aujourd’hui mère, la quadra estime malgré tout avoir « eu de la chance » : « certaines femmes handicapées de ma génération ont été stérilisées de force ».
« Certaines femmes handicapées ont été stérilisées de force »
Face à cet acharnement, une part d’explication : dans notre société patriarcale, les femmes restent les principales pourvoyeuses de soins aux enfants. Or, celles qui sont handicapées étant jugées incapables en général (incapables de s’occuper seules d’elles-mêmes, et ayant souvent besoin d’aide dans les gestes de la vie quotidienne), on imagine qu’elles ne pourront pas assurer leur rôle de mère. Ce qui est aussi une manière de réaffirmer le rôle central que les femmes doivent occuper dans la parentalité.
Autre sujet : la place des femmes dans le système capitaliste, et notamment le travail gratuit qu’elles fournissent au sein du foyer. Si cette question est depuis longtemps étudiée, qu’en est-il des personnes handicapées ? Et plus particulièrement des femmes handicapées ? Là encore, les personnes handicapées subissent deux oppressions croisées. Étant, de façon générale, exclues du monde du travail car, encore une fois, supposées incapables, elles sont bien souvent reléguées au statut d’allocataires, avec toute la précarité que cela engendre. Rappelons que le montant de l’allocation adulte handicapé (AAH), attribuée aux personnes handicapées ne pouvant travailler, se situe en dessous du seuil de pauvreté ; et que le taux de chômage des personnes handicapées (13 %) est largement supérieur à celui des personnes valides.
Se pose alors la question de la précarité socialement organisée des femmes handicapées et donc des conditions économiques dans lesquelles elles vont devoir élever un enfant. Le fait est qu’un enfant coûte cher : il s’agit de pouvoir offrir les soins nécessaires aux plus jeunes, condition sine qua non pour être considérée comme une « bonne mère ».
« La société cautionne le fait de maintenir les personnes handicapées dans une situation infantilisante : en ne leur fournissant pas le soutien nécessaire à leur parentalité, elle les empêche d’y accéder », tacle Béatrice Idiard-Chamois. Cette sage-femme en situation de handicap a créé la première consultation obstétrico-gynécologique à destination des femmes handicapées, à l’Institut mutualiste Montsouris (Paris 14e).
Nombre se sont heurtées aux préjugés des médecins dès l’annonce du projet de parentalité
C’est que l’incapacité supposée des femmes handicapées à devenir mère a longtemps transparu jusque dans les textes : la loi de 2005, pilier de la politique du handicap en France, n’aborde à aucun moment la question de l’aide à la parentalité des personnes handicapées. De quoi faire fulminer Florence Méjécase, qui a beaucoup milité pour que ce sujet soit pris en compte : « [La mise en place de] l’aide à la parentalité a été décidée sous François Hollande, sauf que son déblocage restait à l’appréciation des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) : les MDPH refusaient de s’y soumettre en l’absence de texte les y contraignant. » Il faudra attendre 2021 pour que le droit à l’aide à la parentalité soit finalement intégré à la loi. Une aide financière dédiée à l’achat de matériel de puériculture, ainsi qu’une enveloppe destinée à la rémunération d’une personne afin d’aider les parents dans les gestes du quotidien. Problème : ce soutien est trop faible (30 heures d’aide humaine par mois pour un couple), et concerne seulement les personnes qui perçoivent la prestation de compensation du handicap5.
De fait, l’organisation sociale capitaliste n’est capable de penser la prise en charge des enfants de manière collective que lorsqu’il s’agit de permettre à leurs mères de retourner au travail. Ce qui ne concerne pas, du moins dans l’imaginaire collectif, les mères handicapées.
⁂
Mais si l’on écarte l’aspect financier, ce n’est pas seulement pour retourner travailler que nous avons besoin d’accompagnement dans nos parentalités. C’est avant tout pour un bien-être que la société nous refuse : une société individualiste promouvant le self made et clouant au pilori toutes celles qui n’arrivent pas à allier brillamment vie personnelle et professionnelle. Les mères handicapées font partie de celles qui s’emploient à casser cet idéal inatteignable et mortifère, proposant au passage des parentalités alternatives (notamment par la collectivisation des soins à l’enfant) qui seraient profitables à l’ensemble de la société.
1 Dans cet article, le terme « femme » englobe toutes les personnes subissant les discriminations sexistes.
2 « Asnières : l’adjointe au handicap accusée de discrimination envers une handicapée », RTL (16/10/2017).
3 Qui « œuvre et milite sur les sujets de l’accès aux soins, de l’accessibilité des lieux parents/enfants, de la sensibilisation au handicap, de la vie affective et sexuelle, de la prise en compte de la parentalité des personnes en situation de handicap dans la société et dans la politique sociale et sur l’accompagnement des parents et futurs parents ». Plus d’informations sur le site de l’association.
4 « Florence : maman handicapée, mais maman avant tout », auféminin.com (03/12/2012).
5 Aide financière du département destinée à rembourser les dépenses engendrées par une perte d’autonomie.
Cet article a été publié dans
CQFD n°221 (juin 2023)
Le dossier du mois met à l’honneur les daronnes. Celles auxquelles on reproche d’être trop ceci, pas assez cela, qu’on juge si facilement et qu’on excuse si difficilement, alors qu’elles sont prises en tenaille entre les injonctions du capitalisme et du patriarcat. Ici, des voix s’élèvent pour revendiquer d’autres manières d’être femmes et mères, et tracer des lignes émancipatrices pour des maternités libérées.
En hors dossier, un focus sur l’extrême droite : on aborde la fascisation encore accrue du pays avec le sociologue Ugo Palheta et la situation de Perpignan, devenue il y a trois ans la plus importante ville française dirigée par le RN. À Briançon, la forteresse Europe étend encore et toujours ses absurdes murailles. On part aussi dans le Kurdistan turc à l’heure de l’élection présidentielle, à Douarnenez pour rencontrer le collectif Droit à la ville, ou encore aux côtés des travailleur·ses détaché·es dans les exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône. Pour finir à Draguignan, où les cathos tradis locaux organise de chouettes processions pour faire tomber la pluie. Amen.
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Paru dans CQFD n°221 (juin 2023)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 24.06.2023