L’intro du dossier « Mauvaises mères »

Et c’est ma mère, ou la vôtre…

« Je crois que j’en veux de moins en moins à ma mère, aussi parce qu’elle vieillit. Je me dis : est-ce que c’est pas le moment de serrer les rangs ? Le moment de lui dire : tu as fait ce que tu as pu. » Les pages qui suivent viennent de là. D’une discussion entre amies, un soir de printemps autour de quilles de rouges, et dont le fil était peu ou prou celui-ci : pourquoi on en veut tant à nos mères qui, pourtant, ont fait ce qu’elles ont pu ?
« Et c’est ma mère
Ou la vôtre
Une sorcière comme les autres »

Anne Sylvestre, 1975

Par Elena Vieillard

« Je crois que j’en veux de moins en moins à ma mère, aussi parce qu’elle vieillit. Je me dis : est-ce que c’est pas le moment de serrer les rangs ? Le moment de lui dire : tu as fait ce que tu as pu. » Les pages qui suivent viennent de là. D’une discussion entre amies, un soir de printemps autour de quilles de rouges, et dont le fil était peu ou prou celui-ci : pourquoi on en veut tant à nos mères qui, pourtant, ont fait ce qu’elles ont pu ? À cette question intime, les réponses l’étaient aussi – liées à nos blessures d’enfant, à nos trajectoires familiales, aux imperfections de celles qui nous ont élevées, forcément singulières. Mais à bien y regarder, cette approche était réductrice. À gros traits, ce qu’on reprochait à nos daronnes, c’était aussi de s’être trop fondues dans l’idéal-type de la mère sacrificielle – trop, ou pas assez, c’est selon. C’était leur hyper présence ou leur absence ; leurs choix – ou non-choix – et les traces que toutes ces décisions avaient laissées sur nos vies en construction, sur nos représentations : sur nous, en fait. On leur reprochait finalement ce qu’on reproche aux femmes en général : être trop cela, pas assez ceci, coller trop mal, ou trop bien, aux injonctions contradictoires qui entendent régir, aujourd’hui encore, leur vie. On s’est quittées là-dessus, et sur cette impression partagée que si l’on en avait tant voulu à nos mères, c’est que peut-être, quelque part, on en avait aussi trop attendu.

Ce faisant, on n’avait rien de très original. « Les injonctions liées à la maternité nous assomment de l’extérieur, par tous les canaux possibles »1, écrivait Illana Weizman dix-huit mois après la naissance de son enfant. Car, si les luttes féministes de la fin des années 1960 ont fait de la maternité un sujet central de leur combat, elles l’ont surtout investie par la négative : l’heure était à l’essentielle reconnaissance du droit à ne pas être mère2, moins à l’écoute des besoins de ces dernières. Question d’urgence. Reste que quatre décennies plus tard, les mères sont assujetties aux oukases du patriarcat et du capitalisme à la fois, sommées de conjuguer sans faute vie familiale et professionnelle ; rôle de mère et de femme. Le tout, en étant priées de taire les difficultés qui découlent du « décalage entre la réalité de leur vécu et la glorification de la maternité qu’on leur sert depuis l’enfance »3. Bien intégré, le message est parfois relayé par les mères elles-mêmes – qu’elles n’aient pas l’espace nécessaire pour le questionner, ou qu’elles cherchent à éviter les regards réprobateurs. On les comprend.

Face à l’illusion d’une maternité forcément heureuse, certaines s’emploient depuis quelques années à lever le voile sur l’ambivalence de cette expérience et dénoncer les diktats et tabous qui l’entourent : Illana Weizman, donc, avec son livre Ceci est notre post-partum4, mais aussi la philosophe Camille Froidevaux-Metterie qui s’apprête à publier un essai sur les « expériences vécues du corps enceint », la politologue Fatima Ouassak qui appelle à reconnaître les mères comme de « nouveaux sujets révolutionnaire »5, la journaliste Fabienne Lacoude en se revendiquant « daronne et féministe » ou encore les organisatrices de la « kermesse féministo-punk » Very bad mother qui s’est tenue à Concarneau (Finistère), à l’été 2021. Autant de femmes qui tracent des lignes émancipatrices pour des maternités vraiment libérées.

C’est dans leur sillage que s’est construit ce dossier où s’entremêlent les voix de femmes qui prennent leurs distances avec l’image de la mère parfaite [p. 12 & 13], revendiquent le droit de regretter leur maternité, le droit de craquer [p. 10] ; qui déjouent les codes du genre [p. 16] ; qui assument d’être à la fois mère et putain [p. 14 & 15]

La parole est aux « mauvaises mères », qui ont fait ce qu’elles ont pu.

« Abandonner ses mioches
C’est pas si facile
Faut dire qu’ils s’accrochent
Ces p’tits imbéciles »

Maggy Bolle, Les Gosses, 2017

Dossier coordonné par T.G.

1 « Servilité, inégalité, maternité : comment le mythe de la mère idéale a muté pour encore plus nous accabler », Lesinrocks.com (05/11/2019).

2 Aujourd’hui encore malmené, entre pression sociale à enfanter et entraves répétées à l’IVG.

3 Ibid. note 1.

4 Ceci est notre post-partum – Défaire les mythes et les tabous pour s’émanciper, Marabout, 2021.

5 À travers son livre La Puissance des mères – Pour un nouveau sujet révolutionnaire, La Découverte, 2020.

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1 commentaire
  • 2 juin 2023, 04:24, par Olivier 1/

    Salut, Il y a une femme qui meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint en France. Et deux enfants qui meurent chaque jour de maltraitance ; ils ont deux parents défaillants. La mère peut cogner, maltraiter et abandonner ses enfants ; et pour le père quelle est votre position ? Il a droit d’incester ses enfants ? Je conseille à tous les parents de la rédaction de laisser leurs gamins se faire enculer dès l’âge de 5 ans pour voir les conséquences des négligences et maltraitances de près. ET d’arrêter d’écrire des articles.

Cet article a été publié dans

CQFD n°221 (juin 2023)

Le dossier du mois met à l’honneur les daronnes. Celles auxquelles on reproche d’être trop ceci, pas assez cela, qu’on juge si facilement et qu’on excuse si difficilement, alors qu’elles sont prises en tenaille entre les injonctions du capitalisme et du patriarcat. Ici, des voix s’élèvent pour revendiquer d’autres manières d’être femmes et mères, et tracer des lignes émancipatrices pour des maternités libérées.
En hors dossier, un focus sur l’extrême droite : on aborde la fascisation encore accrue du pays avec le sociologue Ugo Palheta et la situation de Perpignan, devenue il y a trois ans la plus importante ville française dirigée par le RN. À Briançon, la forteresse Europe étend encore et toujours ses absurdes murailles. On part aussi dans le Kurdistan turc à l’heure de l’élection présidentielle, à Douarnenez pour rencontrer le collectif Droit à la ville, ou encore aux côtés des travailleur·ses détaché·es dans les exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône. Pour finir à Draguignan, où les cathos tradis locaux organise de chouettes processions pour faire tomber la pluie. Amen.

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