Dans mon salon
Ça va pas top
Marseille, salon du bien-être1, ça va pas top. Entre les guerres dans le monde et ma cuite de la veille, j’ai pas envie de parler aux gens. Ils ont pourtant l’air TRÈS gentils. Est-ce que le fait que les personnes bienveillantes – cherchant ici à m’attirer vers leurs stands avec des sourires mielleux – provoquent chez moi un sentiment de méfiance est révélateur de ma méchanceté ?
Circulant dans les allées, je note minutieusement dans un carnet toutes les inscriptions qui passent sous mes yeux. « Infinitude, ancrage, souplesse, parenthèse dans le temps, activez votre nerf vague, réalisez votre scan thermique, Biorn Tech, Système NLS, médoucine, mégalo virus, omega choco, gymnastique buccale, oracle du peuple végétal, protéïn shake, Pédirylax, Be You, sous les astres, Chakra du 3e Œil Ajna, design psychique, équilibre osseux, confort veineux, silice colloïdale, aragonite marine… »
Comprenant de moins en moins le sens des mots que j’écris, je sens monter une forme d’angoisse. Le réel m’apparaît de plus en plus obscur et je me demande si ce n’est pas un effet sciemment recherché par les exposants dans le but de me vendre leurs grigris en guise d’éclairage. Paranoïa ? Je commence à lancer des regards de biais, c’est vrai. Pour ne pas paraître cheloue, je m’arrête près d’un stand au bout du rayon « thérapies » et me tiens bien droite en face d’une affiche représentant un diagramme aux couleurs primaires. Fixant un point en son centre, j’y plonge mentalement. Respiration profonde par le nez. Je suis dans une clairière.
Quelqu’un m’arrache à ma rêverie. Horreur ! C’est un coach de vie. Ne trouvant pas moyen de l’esquiver, je le laisse me sonder. « Est-ce que vous avez un problème avec un ami ? Un collègue ? Un membre de votre famille ? » Comme je tarde à répondre et qu’un blanc s’installe entre nous, je dis ce qui me passe par la tête : « Je m’autodétruis – Ok ! » répond-il sans sourciller. Sur son diagramme, il pointe le mot « perfectionniste ». Flattée, je souris. Lui aussi, mais pas à moi. Il invite sa collègue à nous rejoindre et me présente avec une sorte d’exaltation : « Cette dame s’autodétruit. » Tiens, ça fait tout drôle ! C’est pas pareil quand c’est les autres qui le disent… Comme on me propose de m’asseoir au milieu de la foule pour détailler mon diagnostic, je prends la fuite.
« Le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation pour tout achat effectué sur ce stand », pouvait-on lire sur un écriteau croisé maintes fois au salon. Après avoir quitté les lieux, je découvre dans mon sac un « tarot des animaux » au graphisme hideux. 25 euros. La honte ! Aucun souvenir de cet achat. Décidément, ça va pas top. Perfectionniste ? Peut-être. En manque d’élan, surtout. L’antidote ? Boire un coup. Chercher le beau. À court terme, rejoindre des potes à la manif en soutien à la Palestine. Participer à un journal tenu par des acharnés. Et surtout, préférer au bien-être une autre notion, impliquant une certaine conscience collective : celle d’émancipation.
1 Le salon Bio, Bien-être et Habitat sain (Artemisia) avait lieu au parc Chanot du 20 au 22 octobre 2023.
Cet article a été publié dans
CQFD n°225 (décembre 2023)
Dans ce numéro de décembre, on essaie de faire entendre des voix Palestiennes tout en s’interrogeant sur l’information en temps de guerre. Sinon, on donne des nouvelles des anarchistes ukrainiens, on suit aussi des familles roms installées à Marseille et qui trimballent leurs vies d’expulsion en expulsion, on s’interroge sur l’internet militant, on décortique la loi Immigration du grand méchant fourbe Darmanin et on regarde BFM dans un kebab de Morlaix, munis d’un sac à vomi.
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Paru dans CQFD n°225 (décembre 2023)
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Mis en ligne le 15.12.2023
Dans CQFD n°225 (décembre 2023)
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