Énergie polluante

Ça sent le gaz de schiste

Jean-Louis Borloo a quitté son ministère en laissant le gaz ouvert, autorisant les industriels à forer le sous-sol sans retenue. Mais la recherche de cette nouvelle source d’énergie n’est pas sans risque pour l’environnement. Dans les campagnes, la révolte gronde…
par Lindingre

Lors de la session 2010 du salon de l’agriculture, Nicolas Sarkozy pérorait devant ses électeurs à salopette accros aux pesticides : « L’environnement, ça commence à bien faire ! » Au même moment, Jean-Louis Borloo – à l’époque tartuffe de l’Écologie – signait un blanc-seing pour la recherche de gaz de schiste dans le Sud.

« Les permis concernant les zones de Nant [Aveyron], Montélimar [Drôme] et Villeneuve-de-Berg [Ardèche] ont été publiés au Journal officiel en mars 2010, et c’est passé inaperçu », explique à CQFD Patrick Herman, l’un des fers de lance du mouvement contre le gaz de schiste, et par ailleurs paysan et journaliste1. « Ils autorisent les industriels – l’Américain Schuepbach Energy associé à GDF, et Total – à forer sur, respectivement, 4 400, 4 300 et 900 km2. » Cette zone immense, qui descend jusqu’à Montpellier et remonte jusqu’à Montélimar en passant par les Cévennes, pourrait rapidement se transformer en gruyère à gaz… « Trois permis ont été attribués, mais une vingtaine d’autres sont en cours, poursuit Patrick. Parallèlement, dans le Nord, la recherche d’huile de schiste2 est lancée, en Seine-et-Marne notamment. Au total, cela concerne 40 000 km2, soit presque 10 % du territoire ! »

Mais que reproche-t-on à ce gaz naturel qui, avec ses milliers de milliards de mètres cubes présents dans le sous-sol européen – selon un rapport du géant italien de l’énergie E.ON –, nous est vendu comme le garant de notre indépendance énergétique ? Rien moins que tout le processus d’extraction, qui représenterait un véritable danger pour la santé et l’environnement. Petite explication technique : libérer ce gaz planqué dans la roche nécessite de forer verticalement sur 2 000 mètres environ. Une fois la couche de schiste atteinte, c’est tout bête : il suffit d’une bonne explosion pour entamer la caillasse, puis de milliers de mètres cubes d’eau envoyés sous pression pour fracasser le tout. Cela s’appelle la fracturation hydraulique, dont on doit l’invention au marchand d’armes américain Halliburton. Il ne reste plus qu’à récupérer le gaz ainsi libéré. Mais le hic, c’est la flotte… « Il y a 95 % d’eau, 4 % de sable et… 1 % de produits chimiques, explique Patrick. Les industriels assurent récupérer et retraiter 60 à 90 % de ce mélange, ce qui signifie que 10 à 40 % restent dans le sous-sol, et peuvent à loisir polluer les nappes phréatiques. » Et Borloo et son Grenelle qui promettaient de protéger les ressources en eau potable… Selon le journaliste Fabrice Nicolino3, par qui le combat contre le gaz de schiste est arrivé, ce « 1 % de produits chimiques » contient des substances cancérigènes, mutagènes et perturbatrices du système endocrinien…

Aux États-Unis, où l’exploitation s’est intensifiée depuis le milieu des années 2000, les dégâts sur la santé et l’environnement ne sont plus à craindre : ils sont déjà là. Les riverains du gisement de Barnett Shale, au Texas, ont vu leur eau contaminée par les produits contenus dans le liquide de fracturation. Dans le documentaire Gasland, de Josh Fox, l’on peut même voir du gaz s’enflammer à la sortie du robinet d’un particulier ! Et, selon un article du New-York Times du 26 février dernier, l’eau qui remonte des puits de forage est chargée en substances radioactives naturelles, substances que l’on retrouve à la sortie des stations d’épuration.

En Hexagone, la réaction ne s’est pas fait attendre : le nombre d’opposants ne cesse de croître, et la manifestation de Villeneuve-de-Berg du 26 février a réuni plus de 10 000 personnes. « Ça a démarré très fort et très vite. Ce qui a ulcéré les gens, c’est la manière dont ça s’est passé, la tentative de passage en force du pouvoir, poursuit Patrick. C’est une véritable marque de mépris pour les territoires et les gens qui y vivent, qui sont considérés comme quantité négligeable. Ce n’est pas la première fois, le programme électro-nucléaire a été lancé de la même manière. »

Devant la levée de boucliers, la nouvelle ministre de l’Écologie Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM) a demandé aux industriels de suspendre l’exploration le temps d’une mission d’évaluation sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la filière. « On leur a clairement dit qu’on ne tolérerait pas une exploitation ou une exploration à l’américaine », susurrait-elle le 10 février, tout en affirmant qu’un « moratoire n’est pas possible, le code minier ne le permet pas. » Pour notre journaliste-paysan, « l’arrêt décrété par NKM est juste une suspension tactique », et les opposants fourbissent leurs fourches. En attendant, « nous aimerions rebondir sur cette mobilisation pour ouvrir un véritable débat. On ne peut pas parler d’indépendance énergétique si l’on n’aborde pas le thème du réchauffement climatique, des économies d’énergie… Et il est aussi primordial de discuter de la place de l’industrie dans nos sociétés. Dans le cas du gaz de schiste, c’est flagrant : c’est l’industrie qui organise nos territoires et nos vies ! »


1 Lire « Poussière sur la ville » de Patrick Herman dans le hors-série Photo de CQFD, automne-hiver 2009-2010, disponible au journal.

2 Du pétrole qui s’extrait de la même manière que le gaz de schiste.

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