À Marseille

Agent·es de nettoyage en grève : « Si je me fais licencier, je serai fière »

Depuis le 29 mars, à Marseille, les agent·es de nettoyage de l’Agence régionale de santé sont en grève, dénonçant le management brutal et la surcharge de travail imposés par leur nouveau patron, le sous-traitant Laser. Une mobilisation de plus dans un secteur abonné aux débrayages.
Illustration D.R.

Marseille, boulevard de Paris, au cœur du flambant neuf quartier Euroméditerranée. Devant le siège de l’Agence régionale de santé (ARS) de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), en cette fin d’après -midi de mai, le soleil inonde encore l’asphalte sur lequel deux tables ont été disposées. Sur la première trônent gâteaux, thermos de thé et autres sodas, tandis que sur la seconde est disposée une pile de sacs en tissu floqués d’un « Frotter, frotter, il faut payer ». Des drapeaux de la CNT-SO (Confédération nationale du travail-Solidarité ouvrière) flottent au vent et une quarantaine de personnes s’affairent : bienvenue sur le piquet de grève des agent·es de nettoyage de l’ARS Paca. Depuis le 29 mars, chaque jour, les salarié·es font le pied de grue devant le bâtiment pour dénoncer les conditions de travail imposées par leur nouvel employeur, le sous-traitant Laser.

Depuis la reprise du chantier par Laser en janvier dernier, rien ne va plus : « Jusque là, huit personnes étaient embauchées par l’ancien sous-traitant pour nettoyer les locaux : une personne par étage », résume Camille, juriste de la CNT. «  Puis Laser est arrivé : une personne n’a pas été reprise parce qu’elle n’était pas là depuis assez longtemps, de même qu’une autre qui effectuait un remplacement. L’équipe est donc passée de huit à six salarié·es. Ce qui correspond à un étage et demi par personne avec la même charge de travail par étage et dans le même temps imparti. Résultat, ça a créé une vraie surcharge de boulot. » Assa*, en poste depuis une vingtaine d’années, est à bout : « On aime travailler mais là, on n’y arrive plus. Le soir, quand je rentre à la maison, je ne peux pas manger ni dormir tellement je suis fatiguée. Déjà que c’est un travail qui fait mal au dos, mal aux jambes... » Pour la première fois de sa vie, à 55 ans, Assa a donc décidé de débrayer. Comme ses collègues. Parmi eux, Fathia*, la cinquantaine elle aussi : « Avant l’arrivée de Laser, il n’y avait pas de dégâts, on était bien. C’est avec Laser que ça a commencé les histoires : à l’ARS, il y a soixante bureaux, huit toilettes, deux grandes salles, l’ascenseur, et il faut penser à tout nettoyer, même les poignées. Comment on fait pour faire ça en trois heures si on est deux de moins ? » Sur le papier, trois heures, c’est le temps quotidien qu’Assa, Fathia et leurs collègues sont censé·es passer à nettoyer les locaux, « pour 590 euros par mois ». Sauf qu’avec une équipe amputée de deux membres, les heures supplémentaires sont rapidement devenues la norme – sans qu’aucune ne soit payée, affirment les salarié·es1.

Casser la grève ?

Sur le parvis de l’ARS, difficile de s’entendre entre le brouhaha des discussions et la sono qui crache tout ce qu’elle peut d’un tube de raï aussi mythique que suranné. Camille donne de la voix pour se faire entendre. Avant de décider la grève, explique la syndicaliste, les travailleur·ses ont envoyé le 21 mars dernier un courrier à Laser pour alerter sur leur rythme de travail intenable et demander que soient payées les heures qui leur étaient dues. réponse de la direction : « Laser a immédiatement signifié à deux agents leur mutation. Parmi eux, le chef d’équipe, Hamid, qui est un peu le porte-parole. » Une tentative de casser la dynamique collective qui tombe à côté : « On a alors décidé la grève pour que les choses redeviennent comme avant et que toute l’équipe soit reprise ! » raconte Assa.

Laser s’est empressé de répliquer : « La direction a reproché aux grévistes d’avoir agressé une nana de la boîte qui était passée nous voir la deuxième semaine, alors que ce n’est jamais arrivé : le piquet est devant l’agent de sécurité, et personne n’est dans une logique belliqueuse », assure Camille. L’entreprise convoque aussi les grévistes à des entretiens préalables au licenciement. Assa : « Si je me fais licencier, je serai fière ! Et je retournerai pas travailler. Le RSA c’est 500 euros, alors pourquoi bosser si c’est dans ces conditions ? » Elle ajoute : « Je vais pas travailler comme ça jusqu’à ma retraite. D’ailleurs Macron faut qu’il change ça : 62 ans pour les mamas comme nous, c’est pas possible, on est trop fatiguées. On travaille trop à la maison, dehors les hommes gagnent plus d’argent que nous, mais on a la retraite en même temps ?! Ça va pas, ça ! »

Solidarité tous azimuts

Le NPA, la CGT, Sud : sur le piquet, ils sont nombreux à être venus témoigner leur solidarité. Une partie de la chorale militante marseillaise La Lutte enchantée est aussi au rendez-vous. Un des piliers de la Dar, un centre social autogéré qui organise régulièrement des évènements en solidarité avec les luttes en cours, doit également passer pour remettre aux grévistes la recette de la journée de soutien qui s’est déroulée dans le lieu le 1er mai dernier. Quant aux salarié·es de l’ARS, beaucoup répondent également à l’appel : « Tout le monde est hyper solidaire », assure Camille. « Les salarié·es de l’ARS achètent des sacs pour alimenter la caisse de grève2 qui permet de payer les salaires non versés et leur intersyndicale a demandé une réunion à la direction de l’ARS pour que ça bouge. » Objectif de la manœuvre ? Obtenir de l’ARS qu’elle mette la pression sur l’Ugap, l’Union des groupements d’achats publics, chargée du choix des sous-traitants, pour qu’elle rompe le contrat avec Laser au profit d’une autre entreprise qui respecte les conditions souhaitées par les agent·es de nettoyage.

Camille, elle, prépare d’ores et déjà les dossiers pour les prud’hommes : « Si Laser va jusqu’au bout et licencie, il faut être prêts à contester. » Bien lui en a pris : mi-mai, quelques jours après notre rencontre, un des grévistes apprenait son licenciement. Si la syndicaliste anticipait déjà cette éventualité, c’est qu’elle connaît son sujet : « Tous les six mois environ à Marseille, il y a une grève dans le secteur de la propreté que la CNT soutient. » En 2019, le syndicat s’était tenu aux côtés des femmes de chambre de l’hôtel NH Collection, qui avaient cessé le travail pendant 167 jours pour obtenir « l’amélioration de leurs conditions de travail et une meilleure rémunération et considération de la part de leur patron, la multinationale des services Elior3 ». Puis à l’hiver 2020, c’était au tour de leurs collègues du Novotel Prado de débrayer pendant quatre semaines afin d’obliger le sous-traitant STN à payer les heures supplémentaires. Sans oublier, toujours face à STN, la lutte des travailleuses de l’Inter continental qui, l’été dernier, ont fait grève pendant une dizaine de jours pour exiger « une augmentation des qualifications, le paiement intégral du 13e mois pour 2020 et les années suivantes, le remboursement de la prime transport à 100 %, la prise en charge du nettoyage des tenues de travail et l’amélioration des conditions de travail4 ». Si le combat contre Elior a essuyé une violente répression policière et judiciaire et n’a porté ses fruits qu’à la reprise du contrat par un nouveau sous-traitant, les mobilisations contre STN ont été victorieuses, des compromis ayant été trouvés. En sera-t-il de même face à Laser ? Assa : « En tout cas on n’est pas fatigué·es, on ira jusqu’au bout ! »

Par Tiphaine Guéret

1 Contactée par la rédaction, la société Laser n’a pas donné suite à nos sollicitations.

2 Pour soutenir les grévistes, rendez-vous à l’adresse tinyurl.com/Soutenez-la-greve.

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CQFD n°210 (juin 2022)

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