A nous de dépasser les « horizons indépassables » !

Les réveilleurs de la nuit, bravo les gaillards !, sortent un petit livre éperonnant sur un « soulèvement prolétarien » du XIVe siècle vraiment castard, La Révolte des Ciompi, décrite par Machiavel dans ses Histoires florentines puis évoquée par Simone Weil1 dans une de ses « critiques sociales ».

En 1378, dans la cité du lys rouge, les « sottoposti », artisans du textile florentin les plus sous-payés, « des gens inutiles et de vile condition, grossiers, sales et mal vêtus  » selon le prieur Alamano Alliandi, en ont plein la burette d’être réduits à rien. Ils arrêtent les ateliers, « fichent à bas » les portes des prisons communales et libèrent les prisonniers, incendient les maisons des nobles, des riches lainiers, des chefs du parti guelfe, occupent le palais de Podestat contrôlant la ville, brûlent les archives de la justice et du fisc, pillent les couvents et les stocks de grains d’Or San Michele, pendent par les pieds le bourreau de Florence devant le Palais-Vieux et mettent en place une «  balia », sorte de conseil insurrectionnel piloté par le popolo minuto et d’autres insurgés pour en finir avec les seigneuries et jeter les fondements d’une société de l’homme « libre de Dieu ». La répression sera bien sûr terrible. Les émeutiers sont ratiboisés, le parlement annulera toutes leurs conquêtes, la corporation même des Ciompi sera abolie. L’année suivante pourtant, contre toute attente, le menu peuple repartira à l’attaque. Entre parenthèses, si vous vous demandez pourquoi Machiavel, conseiller des princes, s’est fait soudain le chantre de la révolte des Ciompi contre le popolo grasso, écoutons-le : « Il est vrai que j’ai enseigné aux tyrans la manière de s’emparer du pouvoir, mais j’ai aussi enseigné aux peuples la manière de les renverser. »

Merci par ailleurs au puits de science séditieux Miguel Abensour et aux indestructibles éditions rebelles Sens & Tonka de moucher la chandelle des crabes pour qui l’utopie serait « l’antichambre du goulag, voire des camps et ne nous laisserait rien espérer de l’avenir ». Les très roboratifs Le Procès des maîtres rêveurs et L’Homme est un animal utopique, qui viennent de reparaître dans de nouvelles versions, démontrent avec aplomb que l’utopie est « inséparable d’une pensée de l’émancipation » s’expérimentant en actes. «  Pour les tenants de l’ordre existant, il importe de la rejeter du côté de l’impossibilité pour mieux liquider son impulsion à l’altérité. » L’utopie, c’est la recherche de nouveaux modes d’associations harmonieux et libérateurs. C’est donc aussi bien la Commune, la Makhnovitchina, Libertalia, Fiume 1919, les Asturies anarchistes ou les Diggers de 1968 que le TAG, les Black Blocs, Oaxaca, la Zomia ou les « nouvelles constellations subversives » par affinités évoquées par le génial Premières mesures révolutionnaires (La Fabrique). Les deux livres d’Abensour font un bien fou car c’est très scientifiquement, et très poétiquement aussi, qu’ils entendent prouver qu’on peut arriver à « dépasser ce qui se pose comme horizon indépassable ». Car, précise fort bien le cinglant préfacier Louis Janover, « il n’existe d’horizon indépassable que pour ceux dont le regard s’accommode de ce qui se déroule sous leurs yeux et leur soumission à cet état de fait est grosse de tyrannies à venir ». Notons aussi qu’Abensour insiste savoureusement sur la nécessité de réinventer le monde de façon ludique, rappelant à quel point Marx, grand lecteur de Fourier pourtant, a toujours « privilégié le travail au détriment du jeu  ».


1 La philosophe, pas l’ex-ministre.

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