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Je te prête tu me prêtes par la barbichette

À la sauce financière


paru dans CQFD n°95 (décembre 2011), par Raúl Guillén, illustré par
mis en ligne le 30/01/2012 - commentaires

Dans la panique suscitée par la banqueroute grecque de mai 2010, le conseil de l’Union européenne a mis en place des mécanismes pour sauver les pays en difficulté. Après les « injections de liquidité » des premiers mois, c’est maintenant pour augmenter sa « force de frappe » que toute l’Europe se met en quatre.

Le pilier actuel de l’usine à gaz censée sauver l’euro est le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Mais comme il n’a que peu de fondement juridique dans les traités de l’Union [1], il sera bientôt remplacé par le Mécanisme européen de stabilité (MES). C’est ça qui est bien : grâce aux procédures simplifiées de révision des traités européens (art. 48 du traité de Maastricht), il suffit de changer deux petites lignes d’un article (art. 136 du traité de Rome) sans passer par les fâcheux parlements des différents pays. Les dix-sept ministres de l’Économie de la zone euro n’ont plus qu’à parapher en toute tranquillité le traité établissant le MES, ce qui fut fait le 11 juillet 2011. En attendant la ratification et mise en place du machin, le FESF reste simplement une société anonyme basée au Luxembourg – en fait, un Spécial Purpose Véhicle, montage juridique ad hoc du même genre que ceux qu’on utilisa pour titriser les subprimes –, et dont les actionnaires sont les pays de la zone euro [2].

par Nono KadaverLe FESF – et le futur MES – fonctionne un peu comme le Fonds monétaire international (FMI), il octroie des prêts aux pays dans le besoin à condition que ceux-ci s’engagent dans des programmes d’ajustement suffisamment drastiques. Mais l’argent qu’il prête aux pays en difficulté, il l’obtient où ? Sur les marchés financiers, chez les grands spéculateurs (les compagnies d’assurance, les banques, les fonds de pension…), tel le plus vulgaire des états souverains. Tout le charme du montage réside dans le fait que, comme le FESF est garanti par tous les pays de la zone Euro – c’est le montant de ces garanties qu’on appelle sa « force de frappe » – il est noté AAA par les trois agences. Il peut ainsi emprunter sur les marchés avec des intérêts plus bas que les pays mal notés par ces mêmes agences. D’ailleurs le FESF s’en vante ouvertement sur son site, section Investors relations : « Nous avons la capacité d’émettre des bons notés AAA garantis par les membres de la zone euro » [3]. Manque de bol, « l’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé mardi 6 décembre avoir placé sous surveillance négative la note du FESF » (lemonde.fr/AFP, 6 décembre)...

Les conditions très spéciales qui permettent à un ensemble de pays, dont certains assez mal en point côté finances, d’emprunter qualité AAA, s’apprécient mieux dans les statuts du futur MES [4], qui ressemble en tout point au FESF, sauf qu’il aura le statut d’Institution financière internationale, sise elle aussi au Luxembourg. Au final, il s’agit d’un bon gros montage financier que les sociétés off-shore des paradis fiscaux pourraient lui envier. Le MES comptera avec un capital de sept cents milliards. Les pays membres fourniront directement une partie de ce capital – quatre-vingts milliards –, et s’engageront « inconditionnellement et irrévocablement » à débourser le reste s’il leur est demandé (art. 8 du traité établissant le MES), et ceci sous huitaine (art. 9), sous peine de perdre leur droit de vote au sein du MES ! Le futur MES sera aussi exonéré d’impôts sur ses propres fonds (art. 31) et son statut juridique lui donnera la capacité de se pourvoir en justice, pour faire valoir ses droits sur le territoire de chaque pays membre (art. 27). Par contre, les biens et les fonds du MES jouieront d’immunité juridique et ne pourront en aucun cas être saisies. Ses archives et ses locaux seront également inviolables et toute personne qui en fera partie, à un niveau suffisamment haut de responsabilité, jouiera également de cette immunité (art. 30). Et le pompon, c’est que le MES pourra emprunter auprès des banques (art. 17), faire – avec prudence – des investissements (art. 18) et en distribuer les bénéfices (art. 19) ! S’il y a des pertes, des mécanismes pour les éponger sont évidemment prévus (art. 21)…

Lors du dernier sommet de Bruxelles, le 8 décembre, il a finalement été décidé, non pas de remplacer le FESF par le MES, mais de les faire fonctionner ensemble un certain temps en avançant d’un an la création du MES. N’a-t-on pas là comme l’impression de tomber dans un puits sans fond ? En tout cas, ça donne le vertige.


Notes


[1Des doutes ont été exprimés, et pas seulement par des économistes à contre-courant comme Fréderic Lordon (voir sur son blog du Monde Diplomatique, « Le plan de sauvetage européen est-il illégal ? » 24 mai 2011). Un rapport de la Chambre des communes du Royaume-Uni signale, sans trancher, ces incohérences (The European Financial Stabilisation Mechanism (EFSM) ; Standard Note : SN/EP/5973, 19 May 2011).

[2EFSF Framework agreement, p. 2, consultable ici : www.efsf.europa.eu/attachments/20111019_efsf_framework_agreement_en.pdf (PDF).

[3www.efsf.europa.eu/investor_relations/index.htm en anglais. La seule langue, à part l’anglais, dans laquelle est rédigée la plaquette de présentation pour les investisseurs est le japonais. Le FESF a organisé rien moins que quarante réunions dans le monde entier à la recherche d’investisseurs.

[4Cinq mois après sa signature, le texte du traité du MES n’est disponible qu’en anglais http://ec.europa.eu/economy_finance/articles/financial_operations/2011-07-11-esm-treaty_en.htm.



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Par Raúl Guillén


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