Échec scolaire
À l’école comme à la guerre
« Monsieur, ça va être la troisième guerre mondiale ou pas ? Je comprends plus. » Ça va faire la troisième fois qu’on me pose la question aujourd’hui. Il faut dire qu’en ce début de mois d’avril le contexte géopolitique est pesant. Instinctivement, les élèves mobilisent leur connaissance : « Vous avez vu les drones russes en Méditerranée. Ça sent pas bon, c’est comme l’escalade avant la Première Guerre mondiale » s’inquiète l’un d’eux. Et font des parallèles qui résonnent avec leur propre situation : « On va mourir monsieur ! Moi je suis grand, je cours vite et je suis noir ! Ils vont me mettre devant en mode tirailleur ! »
On voudrait presque parler d’autre chose, mais difficile quand le programme de 1re porte sur la violence des guerres du XXe siècle : les gueules cassées, les civils meurtris, la bombe atomique, les génocides arméniens, juifs, tsiganes... Difficile aussi de mettre cette réalité historique sous leurs yeux quand certains la découvrent pour la première fois : « C’est quoi le problème de l’humanité en fait ? Toutes ces guerres, ces massacres, et aujourd’hui ça continue ! » On parle de la Seconde Guerre mondiale, de l’entrée de la France et de l’Angleterre en guerre après l’annexion de la Pologne par Hitler. Et les parallèles continuent : « Macron, il va faire comme les Français à la Deuxième Guerre mondiale, et après on va se faire envahir ! »
Les yeux des élèves se mettent à pétiller devant les images d’archives de résistants qui engagent leur vie pour détruire le régime nazi.
Le cours s’enchaîne sur le régime de Pétain et un débat s’amorce autour de la devise mortifère « Travail, Famille, Patrie ». L’un des élèves, convaincu de son bien-fondé – « Je trouve ça bien Monsieur, c’est une devise de bonhomme ! » –, est médusé quand je lui explique que ledit régime désignait comme ennemis de la patrie les juifs et les étrangers. Un autre élève réagit alors : « Moi perso, je préfère “Liberté, Égalité, Fraternité”, c’est plus tranquille », mais un camarade lui rétorque : « Ouais, mais c’est fini ça ! On est de retour dans “Travail, Famille, Patrie” là ! »
Le cours enchaîne sur des références historiques plus réjouissantes : la belle et glorieuse Résistance. Les yeux des élèves se mettent à pétiller devant les images d’archives de résistants qui engagent leur vie pour détruire le régime nazi. Ils sont juifs, arméniens, étrangers… Ils sont toutes celles et ceux contre qui les puissants s’attaquent toujours quand les crises pointent le bout de leur nez. Deux élèves se lèvent spontanément, la main sur le cœur en signe de respect, me disent-ils. « C’est tarpin des bons, eux, monsieur ! » lance l’un d’entre eux. Je savoure : il faut croire que les résistants d’hier continuent toujours d’inspirer la révolte de celles et ceux qu’on méprise aujourd’hui...
En fin de cours, les élèves m’interrogent : « Et vous Monsieur, vous allez y aller à la guerre ? » Alors que je leur fais comprendre que j’ai d’autres projets que d’aller mourir dans une guerre impérialiste, l’un d’eux rétorque : « Pareil Monsieur ! Venez on se taille ensemble ! » Beau projet, on les monte quand nos réseaux d’évasions ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°240 (avril 2025)
Dans ce numéro, un grand dossier « ruralité ». Avec des sociologues et des reportages, on analyse le regard porté sur les habitants des campagnes. Et on se demande : quelles sont leurs galères et leurs aspirations spécifiques, forcément très diverses ? Et puis, comment faire vivre l’idée de gauche en milieu rural ? Hors dossier, on tient le piquet de grève chez un sous-traitant d’Audi en Belgique, avant de se questionner sur la guerre en Ukraine et de plonger dans l’histoire (et l’héritage) du féminisme yougoslave.
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Paru dans CQFD n°240 (avril 2025)
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Mis en ligne le 17.04.2025
Dans CQFD n°240 (avril 2025)
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