L’austérité qui vient
60 milliards de mensonges
Pauvre Michel Barnier ! Alors qu’il avait vaillamment réussi à ficeler un projet de loi de finances (PLF) en deux semaines, le Premier ministre n’a pas été récompensé par les députés. Tandis que la commission des Finances le presse de rehausser les impôts sur les entreprises, c’est maintenant l’Assemblée nationale qui lui tombe dessus, criant au contraire à la « tempête fiscale », macronistes en tête. Depuis, chacun y va de sa petite créativité pour renflouer les caisses : retour de la taxe d’habitation, augmentation de la taxe sur l’électricité et pourquoi pas vente de la SNCF.
60 milliards d’économies pour 2025, soit 1000 euros par Français·e, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Jusqu’au 5 novembre, les députés ont prévu de trouver 20 milliards d’euros de recettes supplémentaires (notamment via l’impôt), puis de baisser de 40 milliards les dépenses publiques (coupes budgétaires, suppressions de postes, attaques sur la Sécu et les retraites). Mais loin de résoudre ce qui découle en réalité d’une crise structurelle du modèle néolibéral, le budget de Michel Barnier risque surtout de faire entrer le pays dans une période de récession économique. Éclairage.
Après l’ivresse des Jeux olympiques vient la gueule de bois du bilan des années Macron et de l’échec de sa « politique de l’offre » aux entreprises. Le « Mozart de la finance » est parvenu à creuser le déficit du budget de l’État encore plus brillamment que ses prédécesseurs. Au point que la France, qui était sortie de la procédure de redressement dite de « déficit excessif » de l’Union européenne en 2018, y retourne illico en 2024, et jusqu’en 2031. Mais cette année, les marchés financiers s’y mettent aussi. Suite à la dissolution de l’Assemblée nationale et aux législatives anticipées, ils doutent de la capacité de nos gouvernant·es à gouverner, et à résorber leur déficit. Total : ils font payer plus cher notre dette publique. Avec un taux d’intérêt à 2,97 %, la dette française dépasse même celle du Portugal (2,72 %) et de l’Espagne (2,95 %) cet automne. Pour rompre ce cercle vicieux, Michel Barnier a donc bien été obligé de « proposer » un budget à la truelle, qu’il envisage déjà de faire passer par 49.3 si nécessaire.
Si l’État n’a plus un rond, ça n’est pas par hasard. C’est la conséquence directe d’années de « politique de l’offre », c’est-à-dire de cadeaux toujours plus juteux qu’il fait au patronat. En effet, depuis les années 1970-80 et la fin de la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale, la productivité des entreprises françaises stagne. Pour qu’elles restent rentables tout en étant moins productives, l’État attaque d’abord les droits des travailleurs, ce qui permet à leurs directions de les payer moins, et de conserver leurs marges. C’est le modèle néolibéral. Mais ça ne suffit pas. L’État se met alors à leur fournir des « aides » : c’est la politique de l’offre. Ainsi, les suppressions d’impôts, les baisses de cotisations sociales et les subventions directes sont autant de manières de maintenir artificiellement les profits des entreprises et de leurs actionnaires alors qu’elles ne sont plus compétitives. Cette perfusion d’argent public s’élevait déjà de 50 à 90 milliards sous Nicolas Sarkozy. Elle a bondi avec Emmanuel Macron pour atteindre 130 à 150 milliards d’euros annuels : baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), création de la flat tax pour plafonner l’imposition des actionnaires, suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), etc. Et ces cadeaux ne tombent pas du ciel : ils sont financés par la plus-value issue de l’exploitation des travailleur·ses, par la suppression de services publics et par la dette, qui gonfle. La « tempête fiscale » fustigée à l’Assemblée nationale et dans les médias ne vise qu’à réduire ces cadeaux, et encore, de façon temporaire : taxation des super-profits, du transport maritime, des rachats d’actions, augmentation de la flat tax de 30 à 33 %, impôts sur la succession. On est loin de la « boucherie » tant décriée par certains députés macronistes. Même le Medef y consent dans l’ensemble1, c’est dire !
L’Éducation nationale était un peu trop dorlotée ces dernières années. C’est en tous cas l’idée du rapport commandé par Matignon et publié en septembre dernier : il pointe une baisse de 404 000 élèves dans le primaire en 2023 par rapport à 2017 dont les auteur·ices entendent tirer parti, non pas pour améliorer le système éducatif en souffrance, mais au contraire pour « justifier une réduction des moyens d’enseignement ». Et les annonces gouvernementales ne tardent pas : le budget 2025 prévoit de supprimer 4 000 postes d’enseignant·es. En « contrepartie », 2 000 postes d’accompagnant·es d’élèves en situation de handicap (AESH) seront créés, et aucun poste administratif ne sera touché. Nous voilà rassuré·es !
Le budget de la Sécurité sociale est abreuvé de cotisations sociales des salarié·es et des entreprises. Leur redistribution est fléchée selon les besoins de chacun·e : retraites, santé, allocations familiales, chômage, exclusion sociale et logement. Toute réaffectation de ce budget, et toute nouvelle hausse ou réduction de cotisation, est décidée à parité entre des syndicats de salarié·es, du patronat et de l’État. C’est ce qui permet à la Sécu d’être en partie protégée des appétits du capital. Régulièrement pourtant, les politiques néolibérales baissent le montant de son financement par le patronat, ce qui crée artificiellement le fameux « trou de la Sécu ». En contrepartie, l’État promet de compenser cette perte grâce à une contributions du budget de l’État, sur lequel il a tout pouvoir de décision. Y compris celui de baisser cette compensation, pour ensuite arguer que le budget de la Sécurité sociale est « déficitaire ». On est ensuite invité à compléter ce manque par des épargnes individuelles : mutuelles santé, plan épargne retraite.
Le budget 2025 s’inscrit sans complexe dans cette logique. Ainsi, la Sécurité sociale remboursera moins les consultations chez le médecin (60 % contre 70 % actuellement), lesquelles vont passer à 30 euros, augmentant d’autant la part dévolue aux complémentaires santé, qui vont bien sûr répercuter ce coût sur leurs assuré·es. Hop, un milliard d’économies ! Et concernant les retraites, il faut croire que la brutale réforme de 2023 ne suffisait pas : l’indexation des retraites sur l’inflation devrait être gelée pendant six mois. Hop, quatre milliards d’économies ! Mais Laurent Saint-Martin, ministre du Budget et des comptes publics, sait se montrer magnanime : les petites retraites ne devraient pas être touchées et le minimum vieillesse devrait être augmenté. Trop merci.
Il n’y a pas que la Sécu dont l’État creuse artificiellement le déficit : il y a aussi le budget des collectivités ! De la même manière, l’État supprime des impôts locaux2, promet de les compenser avec des « dotations » issues de son budget propre, qu’il peut ensuite geler ou supprimer à loisir. Pour 2025 sont prévus des gels de diverses dotations visant à soutenir le budget de fonctionnement des 450 collectivités ayant la surface financière la plus importante (trois milliards d’euros), une réduction de la dotation qui compensait la taxe d’habitation (1,2 milliard d’euros) et une économie de 800 millions d’euros fléchés sur l’investissement local. En prime, un rabotage du « fonds vert », créé par l’État pour soutenir l’investissement local dans la transition écologique. Au total, 8,5 à 9 milliards d’euros. En clair, l’État leur fait payer son propre déficit. Mais ce faisant, il les pousse aux suppressions de postes dans leurs services publics, et met un coup d’arrêt à l’investissement public, qui repose à 60 % sur les collectivités dans des secteurs tels que l’éducation, l’environnement, les travaux publics, le logement ou le bâtiment.
On le sentait venir, mais quand même pas à ce point. Alors que la crise de la productivité française se poursuit, l’État continue de soutenir grassement son patronat. Pendant que les Français·es comptent leurs allocs, le CAC 40 enchaîne année après année des records de dividendes. Il n’y a pas d’argent magique, seulement des discours de prestidigitateur.
1 « Le Medef affirme que Michel Barnier “a pris la mesure de l’urgence” budgétaire », le Figaro (01/10/2024).
2 Après la suppression de la taxe d’habitation, c’est au tour de la CVAE, prévue pour 2027.
Cet article a été publié dans
CQFD n°235 (novembre 2024)
Ce mois-ci, on s’entretient avec une militante impliquée dans la révolte contre la vie chère en Martinique. Deux de nos reporters sillonnent le mur frontière qui sépare les États-Unis du Mexique, sur fond de campagne présidentielle Trump VS Harris. On vous parle de l’austérité qui vient, des patrons qui votent RN, mais aussi de la lutte contre la LGV dans le Sud-Ouest et des sardinières de Douarnenez cent ans après leur grève mythique…
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Paru dans CQFD n°235 (novembre 2024)
Par
Illustré par Mickomix
Mis en ligne le 31.10.2024
Dans CQFD n°235 (novembre 2024)
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