Dossier. Au-delà de Podemos : le pari municipaliste

« Tout espace de lutte est aussi un espace de débat »

Entretien avec Mayte Sánchez, première adjointe au maire de Puerto Real.
À 31 ans, Mayte est déléguée au logement social et à la participation citoyenne à la mairie de Puerto Real, ville ouvrière de 40 000 âmes dans la baie de Cadix. Elle raconte comment un ancien fief du Parti communiste voué à la construction navale et aéronautique a basculé vers l’hypothèse Podemos.
Par Ferdinand Cazalis.

Quel a été ton parcours politique ?

Mon engagement a réellement commencé à partir du 15-M. Après, j’ai rejoint Izquierda anticapitalista [IA, parti trotskiste fondé en 2009], et j’ai participé aux mouvements féministe et étudiant, ainsi qu’aux assemblées de quartier. Ici, le 15-M est arrivé avec deux mois de retard, ce qui est énorme dans un moment où tout allait très vite, mais les occupations de places ont eu un franc succès.

Comment un bastion historique du PC passe-t-il aux mains de Podemos ?

Les gens d’ici n’ont pas gardé un bon souvenir de tant d’années de municipalité d’Izquierda Unida (IU). Sous ses mandats successifs, la dette n’était pas encore abyssale, mais il n’y a pas eu de politique d’avenir, rien n’a été fait pour protéger l’environnement, ni les services publics. Il y avait bien des actions sociales, 
mais IU n’a jamais tenté de sortir du cadre capitaliste, et ça, les gens s’en souviennent. L’ancien maire, Antonio Barroso, avait été leader syndical des chantiers navals, et il s’appuyait beaucoup sur des réseaux clientélistes, ce qui a fragilisé le tissu associatif et démobilisé les gens. De telles pratiques peuvent permettre de durer, mais pas de créer une autre dynamique.

Comment s’est passé le 15-M ici ?

Les gens venaient avec une telle désillusion par rapport à la politique qu’ils rembarraient toute personne se revendiquant d’un parti ou d’un syndicat. Peu importait que ce soit un type sincère, combatif, militant de base, les gens ne voulaient rien savoir : pas de sigles, pas de drapeau – pas même ceux pour lesquels la classe laborieuse avait lutté ! Et puis les gens venaient aussi de longues années de démobilisation, du cadre étroit des débats imposés par les émissions télévisées et les journaux traditionnels…

Pour la plupart des gens, c’était la première fois qu’ils descendaient dans la rue et expérimentaient des formes de politique directe et de prises de décisions communes. Un vrai apprentissage à partir de zéro : il y avait beaucoup de contradictions, et il fallait respecter les rythmes, se montrer humble et prouver qu’on ne voulait rien imposer – juste participer. Après, avec le mouvement des mareas, les gens ayant fait leur propre expérience ont mieux accepté la présence de militants. Pour moi, tout espace de lutte est aussi un espace de débat. Sinon, il cesse d’être utile pour avancer collectivement.

Par Ferdinand Cazalis.

Comment expliques-tu la rapidité avec laquelle vous êtes passés des assemblées de rue à la prise de la mairie ?

Le 15-M, avec ses pratiques de communication directe, a renversé l’hégémonie idéologique imposée jusque-là. Les gens ont commencé à ne plus croire au discours martelé par les médias selon lequel la crise était de notre faute, parce que nous avions vécu au-dessus de nos moyens. De ce « capital » de mécontentement est né aussi Podemos, dont le nouveau discours s’est glissé par une fissure dans le dispositif médiatique, sans que le pouvoir n’ait le temps de l’évaluer.

Néanmoins, le plus intéressant, c’est la dynamique de base, les assemblées qui se sont créées dans les quartiers grâce à l’enthousiasme des gens. Ici, notre cercle a commencé avec dix personnes, puis vingt... Nous avons su créer une dynamique de participation avec les habitants de la ville, et rapidement, nous étions cent, puis deux cents… En plus d’un fort suivi sur les réseaux sociaux, il y a eu des assemblées assez larges pour décider si nous nous présentions ou non aux municipales. Nous avons soupesé le pour et le contre, ce n’était pas évident. Nous ne voulions pas le pouvoir pour le pouvoir, mais transformer la société... Et nous ne pensions pas gagner !

Comment se sont passées la campagne, puis l’arrivée au pouvoir ?

Comme Podemos ne s’est pas investi dans les municipales en tant que parti, nous avons créé la liste « Puerto Real sí se puede ». Nous avions conscience d’arriver dans une institution qui n’est pas pensée pour servir les intérêts de la population. Notre idée, c’était d’ouvrir les portes et les fenêtres pour que les gens voient de l’intérieur ce qu’est l’institution. Quand on lutte depuis la rue, le problème de la communication est vital ; maintenant que nous sommes à la mairie, nous pouvons mieux communiquer sur les problèmes qui concernent les gens et non pas pour servir notre propre carrière. On n’a pas de budget pour payer des experts en com’ censés faire la publicité de nos actions. Notre discours est en prise directe avec la rue, et ça nous suffit. On est arrivés ici avec une certaine ingénuité, mais on s’est dit qu’on pourrait utiliser les outils des gouvernants à de meilleures fins. Ces choix font que nous rencontrons des difficultés et que nous allons sûrement commettre des erreurs.

Notre salaire a été calculé sur le salaire moyen dans la baie de Cadix : 900 €. Par ailleurs, nous avons pour principe d’action la rotation des tâches et la révocabilité des mandats. L’assemblée du cercle local de Podemos, qui est à la base de notre élection, continue d’exister et nous lui rendons des comptes quant à nos propositions et à nos actions. Voilà quelques-uns de nos vaccins contre les tentations du pouvoir.

Par Ferdinand Cazalis.

Quelle est la composition sociale de l’équipe municipale ?

Antonio Romero, le maire, est un éducateur de rue de 39 ans. Moi, je suis prof vacataire au chômage. Le copain chargé des employés municipaux était syndicaliste et membre du CE d’une boîte de sous-traitance d’Airbus. Encarna est aide-soignante. José Antonio, instit’. Il y a aussi un retraité de la Marine.

Et le problème du logement ?

L’office HLM de Puerto Real a un « trou » de 28 millions d’euros, en plus des 148 millions de dette de la ville. Nous sommes mis sous tutelle par l’État. Le parc de logements sociaux est en mauvais état et demande une rénovation que nous aurons du mal à financer. Nous réfléchissons avec les gens pour inventer des solutions. Nous allons encourager la création de coopératives d’habitants qui pourraient réhabiliter les logements vétustes appartenant à la mairie en échange de loyers très modérés.

Quelles sont les actions les plus prometteuses que vous pensez mener ?

Notre programme contient peu de promesses, à part la transparence et l’ouverture de nos actions à la participation citoyenne. Nous allons convoquer des assemblées pour rendre compte de nos cent premiers jours et recueillir les propositions. Le thème des potagers urbains, collectifs et autogérés, est déjà en bonne voie : nous avons de nombreux terrains municipaux à disposition et c’est une demande qui émane directement des habitants de la ville.

Nous n’en sommes qu’aux premiers mois de notre mandat et tout est allé très vite. Pour gagner en expérience, partager nos idées et nos difficultés, nous avons participé à une coordination des mairies du changement à Barcelone, puis à une autre à Malaga, où le thème de l’appui mutuel était très présent. Nous avons aussi parlé du problème de la dette, qui ne pourra pas être résolu chacun dans son coin. Les dettes municipales sont si importantes que l’on doit penser collectivement à la façon de nous en affranchir en refusant de payer. Cela ne pourra se faire qu’après un audit public et si de nombreuses mairies mènent un mouvement commun de désobéissance pour dire : « Nous ne paierons pas, car cette dette est illégitime. »

Par Ferdinand Cazalis.
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