Mais qu’est-ce qu’on va faire de... Pôle emploi ?

Jo est conseiller Pôle emploi. Il est dépité, plus trivialement, il a les boules. « À partir de janvier 2016, les inscriptions se feront uniquement par Internet. » On sait qu’une inscription met entre 40 et 70 minutes. C’est long mais quand on est au chômage, c’est bien connu, on n’a que ça à faire, à part tourner sa cuillère désargentée dans sa tasse de café soluble. « Pour les sans-emploi qui n’ont pas de scanner ou de compétences en informatique, des jeunes en service civique qui auront suivi une formation de 3 jours [les aiguilleront]. » Jo poursuit : «  Accueillir les gens en détresse, leur dire de se calmer, leur donner un thé…c’est un vrai métier et ça ne s’apprend pas en 3 jours. » Surtout si le type veut s’immoler avec du diesel  ! Ce n’est pas tout  : « A partir de janvier, les accueils seront fermés l’après-midi et bien sûr on va continuer sur la voie des services dématérialisés », avec notamment le développement de l’« Emploi Store », une plateforme numérique « résultant d’un partenariat public-privé, sur laquelle il n’y a même plus le logo de Pôle emploi et qui vise à faire des évaluations avec les demandeurs d’emploi ».

Pour Jo, l’objectif est multiple  : « D’abord rendre l’inscription tellement compliquée que ceux qui n’ont droit à rien ne prendront plus la peine de s’inscrire  : comme les politiques n’ont plus aucune marge de manœuvre possible sur l’activité ou la répartition du temps de travail, ils essaient de faire baisser la température sociale en sabotant le baromètre. » Une technique voisine de celle appliquée en Grande-Bretagne où les chômeurs sont incités à se mettre en contrat zero hour  : horaires et salaires variant selon le bon plaisir des employeurs, on peut ne rien gagner pendant des mois et rester dans la catégorie « salarié ».

En France, dans la novlangue des super managers de Pôle emploi, on appelle cela des contrats « atypiques » qui sont en passe de devenir la norme ainsi que le révèlent les derniers chiffres du chômage pour le mois de septembre. Si le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A a diminué de 0,7 %, celui des catégories B et C (ayant exercé une activité réduite) a progressé de 1,2 % et 1,5 %. Y voir les premiers résultats de la politique gouvernementale visant au flicage renforcé des chômeurs serait évidemment de la malhonnêteté intellectuelle. Comment penser en effet que les injonctions répétées des 200 contrôleurs de recherche d’emploi aboutissent à ce que les gens acceptent n’importe quel type de boulot ? Et si la peur de la sanction ne suffit pas, ces cohortes de « super contrôleurs » appliqueront – sans état d’âme ? – les quotas d’ « expulsion » fixés par la direction.

Pour Jo, l’autre objectif à terme semble aussi de diminuer l’activité de Pôle emploi pour le remplacer par un système de maisons de services au public  : des lieux qui feraient un peu de tout et qui n’emploieraient plus de fonctionnaires mais des sous-traitants associatifs assis sur un siège éjectable. Un modèle déjà très présent dans les pays où tout a été privatisé  : les plus précaires sont alors gérés par des associations caritatives sous contrat avec l’État. Pour les rupins de la galère, des assurances privées viendraient fort opportunément couvrir leurs risques. Un vieux rêve du Medef qui, dans cette affaire, est juge et partie  : il cogère l’Unédic, un organisme qui porte atteinte au marché assurantiel qu’ils veulent développer. Ou, comme le dit Jo  : « On saborde le bateau, et ensuite on vient proposer de nouvelles solutions. »

Néanmoins, dans ce paysage morose, une faible lueur d’espoir est venue de là où on ne l’attendait pas  : du Conseil d’État !

Petit rappel historique  : en mars 2014, la nouvelle convention Unédic était négociée et signée dans les locaux du Medef après 24 h de négociations-marathon. Et là, le 5 octobre dernier, suite à diverses plaintes et actions de collectifs de précaires, la plus haute juridiction administrative du pays l’a annulée, entre autres, parce qu’elle pénalisait trop les intérimaires et les personnes indemnisées suite à un licenciement abusif.

Jo demeure pourtant dubitatif : « Aujourd’hui, il y a certaines agences où l’on continue d’appliquer les règles de l’accord de mars 2014, qui est maintenant illégal. Et d’autres où l’on applique les règles antérieures. » Et il conclut, un peu blasé : « À Pôle emploi, un agent suit entre 80 et 350 usagers et en ce qui concerne la liquidation [le traitement des dossiers d’indemnisation], moins du quart des agents sont vraiment opérationnels. » Entre surexploitation et radiation, restera-t-il un espace pour revendiquer le droit de chômer peinard ?

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