« La crise vue comme une opportunité », titrait avec allant le principal quotidien anglophone du Bangladesh à l’occasion du premier anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza (The Daily Star, 25/04/14). Un an après la pire tuerie jamais commise dans l’histoire de l’industrie textile (1 135 morts, 2 500 blessés, une centaine de disparus), les milieux d’affaires de Dacca célèbrent leur optimisme retrouvé. Les carnets de commande sont pleins, de San Diego à Montluçon le « made in Bangladesh » inonde les (...)
Le règne du libre-échange a ceci d’admirablement cohérent qu’il ne se contente pas d’orchestrer la guerre des pauvres à l’échelle des individus. La mise en concurrence de chacun contre tout le monde autour de l’os à ronger des emplois délocalisables ne s’acharne pas seulement sur les travailleurs du premier monde et les forçats d’Asie, d’Afrique du Nord ou d’Europe de l’Est : elle attise aussi les rivalités entre pays « low cost ». Depuis quelques mois, le gouvernement du Bangladesh scrute avec consternation (...)
Croix de bois, croix de fer, la promesse avait été solennellement proclamée après le massacre du Rana Plaza en avril 2013 : dorénavant, les droits syndicaux des quatre millions d’ouvrières du textile bangladais seraient scrupuleusement respectés. Sur l’air de « plus jamais ça », le patronat local, les géants occidentaux du prêt-à-porter et le régime notoirement corrompu de la Première ministre Sheikha Hassina juraient que les quelque mille cent travailleuses écrabouillées dans l’effondrement de leur usine (...)
C’est une barre haute de dix étages et longue comme un stade de foot, une forteresse de béton noirâtre constellée de meurtrières. Par ces ouvertures équipées de ventilateurs asthmatiques, dix-neuf mille ouvrières et ouvriers happaient l’oxygène qui les empêchait de suffoquer tout à fait dans l’air saturé et surchauffé de leur cage industrielle. Aujourd’hui ils respirent mieux, mais leur gagne-pain est en cendres : dans la nuit du 29 novembre, un incendie a ravagé l’usine de Standard Group, l’un des plus (...)
Sumaya Khatun n’a que seize ans, mais c’est déjà une « vétérane » de guerre. La guerre à laquelle elle a survécu de justesse, et qui menace à présent de l’achever pour de bon, est celle qui oppose les grandes marques de fringues occidentales à leurs quatre millions d’ouvrières bangladaises. Une guerre sale, impitoyable, sans répit et sans refuge, où les commandes de bénards pour petits consommateurs de pays riches tuent aussi sûrement qu’un tapis de bombes. Le 24 novembre 2012 en fin d’après-midi, Sumaya (...)