Vox poetik # 10 - Boris Vian

« Des larmes de honte et de boue »

Mortibus et inutile la poésie ? Que nenni. Cette chronique « Vox Poetik » reviendra régulièrement vous le seriner en vous proposant des extraits qui nous hérissent les chakras. Dixième salve, un poème à la fois enfantin et rageur de Boris Vian, dressé contre la guerre et ceux qui soufflent sur ses braises.
George Grosz, « Explosion », 1917

De Boris Vian, outre le génie de la trompette et de la plume, on connaît l’anti-militarisme et le pacifisme chevillés au corps, notamment mis en avant dans « Le déserteur »,
On peut y voir une forme de naïveté, se dire que comme pour le « quelle connerie la guerre » de Prévert, ce ne sont que des mots,
Mais on peut aussi se réfugier dans ces mots, s’en entourer comme d’un bouclier, voire les darder comme une lance,
Ne serait-ce que pour les enfants, les yeux baissés sur leurs chagrins...

À tous les enfants

« À tous les enfants qui sont partis le sac à dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument
À tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguë du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé,
Plein de rires, plein d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
qui va tomber.

Grandit une tache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud, sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
A tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent et comptent leurs écus
A tous ceux-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des larmes de honte et de boue. »

(Boris Vian, Chansons, 1954-1959)

Précédents épisodes Vox Poetik :
#1 : « Je crache sur votre argent en chien de fusil » (Gaston Miron)
#2 : Le toast de l’ami italien (Erri de Luca)
#3 : « Aux personnes qui me merveillent » (Valérie Rouzeau)
#4 : « Des têtes de fromages de tête » (Jacques Prévert)
#5 : « Paix sur la terre aux pommes de terre » (Brigitte Fontaine)
#6 : « Les dieux sont au PMU » (Kae Tempest)
#7 : « Un endroit où Billy The Kid peut se cacher quand il tire sur les gens » (Jack Spicer)
#8 : « Non, non, pas acquérir » (Henri Michaux)
#9 : « Des bêtes vivent sur nos visages » (Laura Vazquez)

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