Dossier : Conspirationnisme

Conspirationnisme en brèves

L’art de gouverner par le mensonge

Dans Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu (1864), pamphlet devenu fameux car il fut secrètement plagié pour la fabrication du faux antisémite Les Protocoles des sages de Sion, Maurice Joly, opposant à Napoléon III, met dans la bouche de son Machiavel cette vision qui nous semble désormais familière  : « Dans toutes les branches du gouvernement il y aura des hommes de rien, ou de très peu de conséquence, qui seront de véritables Machiavels au petit pied qui ruseront, qui dissimuleront, qui mentiront avec un imperturbable sang-froid ; la vérité ne pourra se faire jour nulle part. » C’est donc ça qu’on leur apprend à l’ENA ?

Encore un coup des (poupées) russes !

Par Pirikk.

« La faute aux banquiers juifs »

Cela fait un moment déjà que les disciples d’étienne Chouard ou de Soral et Dieudonné parviennent à s’infiltrer dans les milieux d’extrême gauche (le dernier cas en date étant celui du festival Alternatiba-Lille). Au-delà de l’habileté particulière de ces gens-là, comment expliquer un phénomène désormais récurrent ? La réponse réside peut-être dans le concept d’anticapitalisme tronqué, développé depuis le milieu des années 1980 par les théoriciens de la « critique de la valeur ». Sous ce nom sont regroupés des auteurs tels que Moishe Postone, Robert Kurz ou Anselm Jappe, qui, rejetant le marxisme traditionnel, proposent une nouvelle lecture de Marx en vue de relancer la critique du capitalisme. L’anticapitalisme tronqué, selon eux, c’est l’attitude qui consiste à concentrer les attaques sur la finance, les banques, les spéculateurs, censés « vampiriser » le peuple, la classe ouvrière, les travailleurs, etc. – un penchant qui est effectivement très répandu à l’extrême gauche. Le problème est qu’en attribuant les problèmes sociaux à des catégories particulières de population, cette extrême gauche se place d’emblée sur le terrain du conspirationnisme, qui cherche toujours à « personnifier » la domination, et elle échoue à remettre en question les structures du capitalisme. La critique de ce dernier doit donc se porter à un niveau systémique, celui des logiques sociales et des rapports sociaux dominants, plutôt que de cibler des acteurs spécifiques.

Mais cet anticapitalisme défectueux est aussi défini comme tronqué dans la mesure où il oppose au « capital fictif », mobile et volatil, les richesses «  concrètes » produites dans les usines qu’il s’agirait simplement de redistribuer entre tous. Ce faisant, le travail et la production industrielle apparaissent comme un processus créateur, séparable des rapports sociaux capitalistes, tandis que le capital est identifié au seul capital financier. Outre l’aveuglement qu’elle implique sur une organisation du travail, des technologies et une manière de produire qui sont intrinsèquement liées au capitalisme, cette approche recèle un danger politique immédiat : celui de peindre le capital sous la forme d’une puissance parasitaire, dont la force réside dans son caractère fuyant et sa capacité à se jouer des frontières nationales… Soit autant de caractéristiques qui ont été attribuées au peuple juif par les mouvements antisémites du XIXe et du XXe siècle  ! Résultat  : dans ce type d’analyses, explique Postone, il n’y a rien d’étonnant à ce que « l’insaisissable domination mondiale, abstraite, du capital [soit] comprise comme l’insaisissable domination mondiale, abstraite, des Juifs ». En rester à un anticapitalisme tronqué, c’est donc rendre possible des rapprochements objectifs – et peut-être même subjectifs – avec l’extrême droite conspirationniste et antisémite, tout en se privant d’une compréhension globale du capitalisme comme phénomène social multidimensionnel.

Patrick Marcolini

Pour en savoir plus, lire entre autres  :

Robert Kurz, Avis aux naufragés. Chroniques du capitalisme mondialisé en crise, Lignes, 2005 et Moishe Postone, Critique du fétiche-capital. Le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche, PUF, 2013.

Strategia della tensione

S’il est un pays où politique rime avec complot, c’est bien l’Italie de la période incandescente des années de plomb. Au pays des Ides de Mars, des Borgia, de Machiavel et de la Loge P2, la conspiration s’insinua dans tous les coins. Le bilan de ces années établit que l’ultra-droite a été responsable de plus des trois quarts des actes de violence politique des années 1970. Elle aura provoqué de véritables meurtres de masse – de l’attentat de la piazza Fontana à Milan en 1969 à celui de la gare de Bologne en 1980 – dans une volonté de précipiter l’instauration d’un régime néo-fasciste et avec la bénédiction d’officines des services secrets et de l’Otan à travers les réseaux Gladio. Pourtant, c’est le souvenir de la violence révolutionnaire qui traumatise encore la péninsule, toujours paralysée à l’idée d’une amnistie. Après l’assassinat d’Aldo Moro, les Brigades rouges vont subir une répression féroce mais aussi un puissant discrédit populaire, dès lors qu’elles voulurent rivaliser avec l’état en lui contestant le monopole de la terreur.

Mathieu Léonard

La suite du complot :

Test-Quiz : « Quel conspirationniste êtes-vous ? »

« On nous cache tout ! »

Résurrection

Théâtre : Le complot jusqu’à l’abîme

Égypte : Complot partout, révolution confisquée

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4 commentaires
  • 1er février 2015, 11:11

    Les Soral, Chouard et consorts, pas fous, explorent les angles morts de l’extrême gauche. Soral, par exemple, va faire lire Clouscard, qui fait le lien entre idéologie libérale et destruction des morales traditionnelles. Ce n’est pas inintéressant. Mais le mot même de « morale » est tabou dans les discours d’extrême gauche. Chouard va pousser les choses du côté du droit (pour ensuite enfermer ses sympathisants dans le formalisme !). Le droit : encore un aspect des choses totalement absent à l’extrême gauche. Votre question de départ était : comment ces gens-là arrivent-ils à pénétrer l’extrême-gauche, voire à lui piquer des copains. Mais, avec votre histoire de « capitalisme tronqué », vous ne renseignez que sur ce qui fait l’impuissance politique de ces petites sectes très actives. Pas sur l’échec de l’extrême-gauche. Parce que celle-ci ne repose plus que sur des dogmes, de la morale, qu’on ne remet jamais en question le principal, et bref, qu’on s’y emmerde sec.

    Je vais citer ce qu’écrivait déjà un certain Cavanna en 1979(!). Trente ans plus tard, c’est encore pire à mon avis : « Si la gauche, aujourd’hui, est toujours socialement »pour« le pauvre et »contre« le riche, c’est à peu près tout ce qui lui reste, et encore ne l’est-elle que sentimentalement. Partout ailleurs, la gauche, surtout la gauche jeune, a des positions qui étaient naguère les positions traditionnelles de la »pensée" de droite. D’abord, le refus de la « froide » raison. La gauche, surtout l’extrême, est devenue romantique, coup de cœur, spontanéiste - ah, la spontanéité ! -, cela-va-sans-dire, viscérale, dogmatiste."

  • 1er février 2015, 12:40

    « dès lors qu’elles voulurent rivaliser avec l’état en lui contestant le monopole de la terreur. »

    C’est joli, comme formule, c’est ramassé, ça a son petit côté lapidaire. Personne ne savait que l’Etat italien avait semé la terreur dans sa population : pas mal pour dénoncer le complotisme. Vous n’êtes pas en reste. Mais c’est quand même un peu court. Soral va beaucoup plus loin, vous dira-t-on. « Le monopole de la terreur » : c’est quoi donc cet animal-là ?

  • 1er février 2015, 14:52

    salut a vous !

    Je tombe regulierement sur des ecrits faisant des liens entre chouard et soral, j’avoue etre un peu perdu..

    L’un veux que je lui donne mon pouvoir pour redonner un peu d’ordre (et ca risquerais de piquer, avec nos dirigeants habituels on t’en**** mais au moins on est pas obligé de jouir.)

    L’autre me propose d’utiliser mon pouvoir comme je l’entend, en echange de le laisser lui aussi utiliser le siens. meme s’il s’averais etre un extremiste, il y a tjrs une place pour l’autre.

    L’un prone l’ordre par l’ideologie, l’autre espere la justice par la raison.

    J’arrive vraiment pas a faire le lien entre un militant politique cherchant le pouvoir et un enseignant philosophe le dénonçant ...

    Peut etre suis-je naif ou stupide mais j’ai l’impression que vous defendez notre impuissance politique en liant arbitrairement deux personnes qui cherche chacune deux choses differentes et diametralement opposée.

    Ou est ce un stimuli ingenieux pour creer du conspirationisme dans un dossier le dénonçant ? :) (brillante ironie, comploter contre la theorie !)

    Dossier qui dans sont ensemble est quand meme pas mal versé dans l’utilisation des sophismes. Dommage car l’experimentation sociale, a mon sens, c’est essayer de resoudres les problemes et les mal-etres ? si on grande partie de la population se sent manipulée par les banquier, politiciens et rapporteur, alors la solution se trouve dans la resolution du probleme, pas dans l’humiliation de celui qui pose la question. (Cqfd ?)

    par exemple : une loi qui oblige a devoiler les liens entre banque et politique ? Mais non voyons on te dit que yen a pas des liens ! Alors on peux la faire la fameuse loi, ca coute rien ? nan tu doit avoir un esprit malade pour reclamer ca, pillule ou prison ?

    Ceci dit j’apprecie beaucoup vos papiers en dehors de ce dossier !

    oh j’viens de trouver un complot, imagine que tout le monde le denonce en ce moment, pas parce que c’est la mode, mais parce qu’il existe bel est bien, que tout le monde y participe du banquier au plus parano conspi, que tout le monde le sais et que comme tout le monde est dependant les un des autre ne serait ce que pour bouffer, alors on tourne ca en derision. les gars du new-age (niveau complot c’est des maitres) ils appelent ca l’Ego. donc en fait le complot c’est l’expression du mal en nous...(gloire a satan et tout) du coups des complots yen a plein, des millions, partout, tout le temps :)

    en fait un autre mot pour conspiration est egoisme, et la les gars, on va pouvoir en ecrire du papier avant de nous convaincre mutuellement qu’en fin de compte, on est pas tous des gros cons :)

    Allez hop c’est l’heure de ma pillule !

    • 1er février 2015, 16:44

      Peut-être qu’effectivement tu es naïf de ne pas voir que c’est Chouard, en s’associant avec « qui il veut » (mon cul !) ou en passant à Radio Courtoisie, en se coupant aussi radicalement de la gauche (qui existe, qu’il le veuille ou non !), c’est à dire des gens et des structures qu’il devrait normalement s’employer à faire évoluer vers son point de vue, c’est Chouard, donc, qui isole dramatiquement ses suiveurs et les condamne à l’impuissance politique la plus complète. Il crée du lien chez les paumés dans notre genre, c’est pas si mal. Mais à écrire la constitution qui n’existera jamais, il nous balade aussi très joliment. Par-dessus le marché, il se paye encore le luxe d’avoir des relations avec les pires c......rds, du genre Soral ou San Giorgio.

    • 5 février 2015, 18:34

      Ok, je comprend cette explication. C’est tres triste tout de meme car moi qui suis plutot bien de gauche melange de coco anar hippy à parler de liberté et de solidarité sans cesse, je trouvais que le bonhomme avais quand meme la grande bonne idée niveau democratie (que la france ne saurait etre).

      Et je suis tout de meme de son avis quand il dit que la vrai extreme droite c’est la banque telle qu’elle est faite actuellement et certaines grosses industries, et que de fait on y est deja. ceux qu’on dit d’extreme droit son juste des gros cons et serais a mon avis incapable de garder le pouvoir. Ils le font vraiment pas peur perso, j’ai plus peur de la banque et du capital que d’abrutis eructant de la haine sans avoir les competences pour l’argumenter serieusement.

      Dommage que l’idee soit classé avec le messager.. ce n’est pourtant pas un leader dans mon esprit. Il philosophe c’est tout, dommage que les bons le rejete simplement parce qu’il tolere les cons (et si les bons sont intolerants, sont ils encore bons ?)

      Quelqu’un d’autre reprend l’idee de la democratie participative, avec tirage au sort et constitution limitant le pouvoir ? Parce que ca m’interesse. Plus de pouvoir pour les pauvres (plus nombreux), ainsi on srrait tenté de proposer un enseignement de qualité. Je pari qu’avec cette methode, plus jamais on entend parler de l’extreme droite.

      j’ai aussi le meme avis que toi sur soral, malheureusement il a suffisament de talent (beurk, j’ai pas trouvé d’autre mot) pour convaincre les moins attentifs. Celui la est plus dangeureux que les lepen. Ultra authoritaire, yaurais surement pas mal de fusillé s’il arrivait au pouvoir.

      bref je sais pas trop quand meme (complot inside) c’est un raccourci facile : democratie reelle constitution tirage au sort > chouard > soral > fascisme >> democratie reelle = fascisme ? On voudrais foutre l’idee a la poubelle on ferais pas autrement :) Alors oui la democratie c’est moins de libertées que l’anarchie mais c’est plus de liberté que ce qu’on a maintenant (comment ca s’appelle d’ailleurs ? Oligarchie elue ? Dictature financiere ? connerie humaine ?)

      Et au final c’est quoi l’idee ? Le seul but est de mettre son groupe au pouvoir tout le monde etant sur d’avoir raison ? Tout change et tout est pareil ?

      Evidement que ca ne se fera jamais la constitution populaire, mais sans espoir d’un lendemain meilleur, autant se faire peter le caisson. On est pas que du betail... pas que :)

    • 6 février 2015, 19:07

      Que veux-tu, Chouard est un homme, il n’est que cela, et l’erreur première serait de le vouloir parfait ! Il commet des erreurs, comme tout le monde...dommage qu’il s’y enferre ! Car leader, il l’est, qu’il le veuille ou non, que tu le veuilles ou non, car ce gars, avec le support d’internet, a dépassé sa petite échelle. Et depuis, des tas de gens comptent sur lui, attendent son opinion, boivent ses paroles et ses messages facebook... Bref, il a des responsabilités politiques. Et j’imagine qu’il les assume à sa façon. Pour autant, se place-t-il au-dessus de toute critique ? Sa stratégie est critiquable...et ses idées le sont tout autant. Il n’est quand même pas la démocratie à lui tout seul !

      Le crédit que des gens apportent à d’autres gens est quand même phénoménal ! Certains aident d’autres à prendre conscience de leur puissance politique : très bien !, à se rassembler pour en causer, encore mieux ! Mais si les premiers faillissent, que d’autres parmi les seconds prennent leur place ! Voilà la démocratie directe ! Les idées n’appartiennent à personne ! D’ailleurs, Chouard, c’est d’abord une bibliothèque ambulante (et c’est très bien !). Pour le reste, il est quand même un peu...rengaine. Zyeute donc le débat qu’il a eu avec Florence Gauthier, c’est instructif.

      Bref, ce qui est dommage, c’est qu’en plus d’être conspis et politiquement immatures, ces dissidents du net ont bien du mal à sortir de l’ordre du chef, un chef charismatique avec son blog, ses conférences, et son troupeau...Croyez donc un peu en vous, les mecs !

      Cela dit, ce sont peut-être des tâtonnements vers quelque chose qui se cherche, et alors là, ce serait vraiment dommage de se « péter le caisson », pour reprendre cette jolie expression.

    • 7 février 2015, 14:20

      Le terme même de « confusionnisme » est très problématique.

      D’une, il suppose l’intention des personnages visés d’introduire de la « confusion » dans les esprits. Or, cette intention n’est jamais démontrée, ni par AL, ni (et encore moins) par le récent site spécialisé. Il y aurait pourtant à faire, et d’autres s’y emploient, en mettant au jour les liens, les réseaux. Pour le moment, on peut simplement constater que Chouard pédale dans la semoule et n’a pas les idées très claires sur ce qu’est l’extrême-droite. Il est probablement un peu, beaucoup, utilisé.

      De deux, il suppose (ce terme) que le panorama de l’offre politique soit parfaitement ordonné et clair quand de méchants fachos ne s’emploient pas à mettre dans la « confusion » dans les esprits. C’est grotesque. Le succès de ces « dissidents » en carton-pâte vient au contraire d’un désordre considérable, dont, certes, ils titrent parti, mais dont ils ne sont pas directement responsables.

      Par contre,l’incapacité de la gauche à se regarder en face pour mieux se complaire dans l’entre-soi est cause de bien des « confusions ». La force de Chouard, c’est qu’il promeut un discours selon lequel on peut recommencer à réfléchir par soi-même, en-dehors des dogmes et des oukazes de l’extrême-gauche institutionnelle, dogme et oukazes dont nous crevons, pauvres de nous.

  • 1er février 2015, 19:52

    Je comprends rien à cette histoire de conspirationnisme. Est-ce qu’on sait combien s’il y avait un seul tireur pour l’assassinat de Kennedy ?

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