Toulouse : pérenniser une base arrière

Une chapelle hors des guerres de chapelle

À Toulouse, depuis plus de 30 ans, une chapelle désacralisée en plein cœur du centre-ville héberge la vie associative et militante. Aujourd’hui, elle est en passe d’être achetée par ses usager·ères qui souhaitent la soustraire aux arbitraires des politiques et de la spéculation immobilière.
Alex Less

La Chapelle, emblématique squat de Toulouse, va être rachetée par les associations qui l’ont fait vivre jusqu’ici. Son histoire commence en 1993 quand le collectif Planète en Danger l’investit à l’issue d’une action de rue pour dénoncer la mainmise de la promotion immobilière sur l’aménagement de la ville. Laissée à l’abandon par la propriétaire du lieu, une association diocésaine, la Chapelle est aujourd’hui le cœur battant du monde associatif et militant toulousain. Conférences, événements culturels, librairie, assemblées de lutte… Si d’apparence l’endroit est resté dans son jus, à l’intérieur, la vie bouillonne. Retour sur 31 ans d’histoire d’un lieu « à vivre et non à consommer ».

Trois décennies de bras de fer

À ses débuts, la Chapelle cherche à mêler culture et politique, art et critique sociale. Sa philosophie ? « Un geste artistique pour faire passer du politique. » Cette dimension culturelle lui a permis de s’ouvrir au quartier, d’avoir de bonnes relations au voisinage et du soutien en cas de risque d’expulsion. « C’est sans doute ce qui a fait sa longévité. Aujourd’hui, la Chapelle est le dernier des nombreux lieux squattés au milieu des années 1990 », raconte Merlin, un ancien du Clandé, un autre squat politique expulsé en 2006.

C’est en 2006 aussi qu’un bailleur social tente de s’emparer de la Chapelle. S’ensuivent deux années de lutte au bout desquelles les squatteu·ses sortent victorieux·ses. Puis en 2018, la Chapelle change de statut. La mairie, devenue entre-temps propriétaire, accepte, non sans négociations, de laisser sa gestion légale à ses occupant·es : un bail emphytéotique, leur donnant les droits et les devoirs d’un propriétaire, et une promesse de vente sont signés.

Une base arrière

Aujourd’hui, la fibre artistique est moins présente, mais le lieu reste ouvert du fait de la diversité de ses activités. « Il n’y a pas de guerre de chapelle à la Chapelle, explique Annaëlle, une habituée du lieu. Les personnes qui viennent font partie d’un large éventail : des plus aisés aux plus précaires. Seuls les partis politiques et les entreprises ne rentrent pas. » L’Amap peut faire sa distribution de paniers dans le jardin pendant que d’autres préparent une soirée anti-répression. « On peut se pointer boire un verre à un concert et se retrouver face à deux filles du Planning familial parlant de la caisse de solidarité des avortements hors délai. Ça fait de la Chapelle une passerelle de politisation », raconte Kamel, membre du Kiosk, la librairie anar installée dans le jardin.

« En cas de crise, c’est pratique »

Durant le confinement, un réseau de collecte et de distribution de nourriture et denrées de première nécessité s’est monté, apportant une solidarité aux plus précaires en squat ou en campement. « Des étagères ont été fabriquées pour stocker les denrées et des dizaines de personnes nous ont rejoint·es, raconte Sarah. Différents groupes et associations avec des bases politiques très différentes se sont impliquées, alors qu’en temps normal, elles sont très critiques de leurs pratiques respectives. »

Et si la grande salle peut accueillir beaucoup de public, elle permet aussi de stocker beaucoup de matériel. « En cas de crise, c’est pratique. Si un squat se fait expulser et que ses occupant·es ont besoin de stocker temporairement leurs affaires, ça fait une bonne base arrière », raconte Thomas, un ancien de la Chapelle.

Acheter sans privatiser

Aujourd’hui, l’association constituée des groupes usagers veut acheter le lieu. Un financement participatif a été lancé pour récolter les 150 000 euros requis. « Pérenniser ce lieu est une nécessité : on a besoin de tels espaces pour s’organiser, affirme Alex, habitué du lieu. Des espaces de cette taille en centre-ville, vu la pression immobilière, ça n’est accessible qu’en squattant. Sauf que les expulsions s’accélèrent sous le coup des lois anti-squat type Kasbarian. » Sans abandonner la pratique du squat ailleurs, cet achat collectif permet de se préparer à un futur où squatter deviendra potentiellement plus compliqué.

Séparer la propriété de l’usage

S’inspirant d’autres lieux autogérés dans la même situation, le choix a été fait de séparer la propriété de l’usage. Ainsi une association créée pour l’occasion deviendra propriétaire du lieu. Elle aura pour membres les trois associations résidentes, ainsi qu’une autre regroupant des proches de la Chapelle. Cette dernière jouera un rôle de médiation et de contre-pouvoir en cas de conflit pouvant entraîner une dénaturation du projet. Un chouette moyen de penser l’autonomie matérielle et politique des milieux militants à plus long terme.

Par des ami·es de la Chapelle

Rachetons collectivement la Chapelle !

Campagne de financement participatif jusqu’à mi-décembre 2024 :

lachapelletoulouse.com/financement

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Cet article a été publié dans

CQFD n°235 (novembre 2024)

Ce mois-ci, on s’entretient avec une militante impliquée dans la révolte contre la vie chère en Martinique. Deux de nos reporters sillonnent le mur frontière qui sépare les États-Unis du Mexique, sur fond de campagne présidentielle Trump VS Harris. On vous parle de l’austérité qui vient, des patrons qui votent RN, mais aussi de la lutte contre la LGV dans le Sud-Ouest et des sardinières de Douarnenez cent ans après leur grève mythique…

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Paru dans CQFD n°235 (novembre 2024)
Par Des ami·es de la Chapelle
Illustré par Alex Less

Mis en ligne le 07.11.2024