Chroniques portuaires

Un monde rectangulaire aux arêtes bien tranchantes

Par Cécile K.

Savez-vous qui est « l’homme qui changea le monde » selon le célèbre magazine économique Forbes ? Malcolm McLean, né en 1913 en Caroline du Nord : un camionneur devenu l’un des armateurs les plus influents de l’histoire états-unienne et surtout, le principal inventeur et promoteur du conteneur - une particularité qui fait de lui le personnage principal de The box, comment le conteneur a changé le monde, enquête du journaliste Marc Levinson traduite en français en 2011 aux éditions Max Milo. Histoire détaillée de la conteneurisation, The box expose le processus de construction de l’un des ressorts mécaniques de l’expansion du commerce mondial, depuis les toutes premières caisses en bois utilisées au XIXe siècle par les chemins de fer britanniques et français pour transporter du mobilier domestique, en passant par les boites carrées utilisées sur les camions dans les années 1930, jusqu’à l’acheminement de celles-ci à l’échelle planétaire dans les années 1990.

S’il est une date à retenir, on peut choisir le 26 avril 1956, quand Malcolm McLean affrète à Newark (New Jersey) un navire chargé de conteneurs, l’Ideal X : 58 caisses qui allaient être réparties sur 58 camions à Houston. McLean n’est pas le premier à utiliser la boite carrée, mais il est celui qui poussa l’uniformisation technique de l’infrastructure du transport (navires, trains, bateaux) le plus loin. On suit McLeans dans ses négociations avec les armateurs concurrents dont le célèbre Matson ; on apprend qu’il est à l’origine de l’aménagement du premier terminal à conteneurs privé dans la baie de Cam Ranh au Vietnam, en 1973, afin d’approvisionner les troupes états-uniennes le plus efficacement possible ; on sait quand le marché maritime s’est ouvert à l’Asie grâce à ses rencontres japonaises et à l’établissement des premières lignes conteneurisées.

Au-delà de la trajectoire biographique (et géopolitique) d’un seul homme, The box explore les différentes histoires, conflictuelles, qui convergèrent pour fabriquer l’objet qui a rendu techniquement possible la logistique commerciale, à savoir, «  le travail consistant à planifier la production, le stockage, le transport et la livraison » en établissant des chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale. Une histoire du processus de normalisation internationale de la taille et du poids des conteneurs pour parvenir à trois tailles standards et compatibles avec tous les modes de transports de marchandises du monde, labellisées par l’Organisation internationale de normalisation (ISO).

Puis, une édifiante histoire syndicale, revenant notamment sur les négociations menées par les syndicats majoritaires des côtes Est et Ouest des États-Unis avec les organisations patronales et les gouvernements fédéraux au sujet de l’introduction des conteneurs dans les ports et de leur automatisation. Les résistances des ouvriers face à l’introduction de nouvelles technologies ont été fortes, rythmées par des grèves à répétition. Les syndicats finiront néanmoins par signer deux accords (en 1960 et 1965) qui font partie, selon Levinson, « des plus singuliers et controversés de l’histoire commerciale des Etats-Unis  » : ils autorisent l’introduction de la conteneurisation et la réorganisation du travail des docks sous couvert d’une redistribution des bénéfices de l’automatisation aux travailleurs qui devaient perdre leur emploi.

Enfin, The Box narre l’histoire des techniques de gestion mises en œuvre par la diffusion du conteneur, des bureaux des concepteurs où McLean introduit la technique de l’open-space dans les années 1950 pour surveiller la productivité de ses employés, à l’introduction de l’informatique sur les docks, notamment pour assurer l’identification et le suivi des boites déchargées le plus rapidement possible, afin de minimiser les durées de stationnement des navires dans ce que l’on appelle, désormais, des « espaces de transbordement multimodal  ». Autant de murs de rectangles multicolores symbolisant la déshumanisation des paysages portuaires mondialisés.

Julia Zortea
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