Mistral réactionnaire

Un Puy-du-Fou sauce provençale

C’est un joli coin de garrigue, dont émerge un château aux racines millénaires. À la Barben, tout près d’Aix-en-Provence, Vianney Audemard d’Alançon, entrepreneur trentenaire et fervent catholique, veut monter un parc à thème historique... dans un esprit proche du complexe vendéen.
Par Etienne Savoye

Rocher Mistral. N’y voyez pas une nouvelle gamme de chocolat aux amandes provençales. Mais bien une opération marketing réactionnaire. Costume impeccable, col de chemise ouvert, Vianney Audemard d’Alançon, aristocrate catholique traditionaliste, a lancé cette marque mi-juin sur la terrasse de son château. Entre Aix et Salon-de-Provence, la forteresse de la Barben coiffe un imposant rocher battu par le vent maître – le mistral.

Pas de friandise, donc, mais un « spectaculaire » 1 projet de parc de loisirs à vocation historique, par lequel celui qui a acquis les lieux fin 2019 entend se faire héraut de la culture provençale. Mais quelle culture, basée sur quelle histoire ? Au site d’informations Marsactu, Vianney Audemard d’Alançon a expliqué qu’« il n’y a qu’une histoire » 2.

L’homme sait pourtant faire des choix. Au Rocher Mistral, on exaltera particulièrement l’œuvre d’un autre Mistral : Frédéric, le fondateur du mouvement du Félibrige, à l’origine d’un renouveau de la langue provençale à la fin du XIXe siècle. Prix Nobel de littérature en 1904, ce poète adhéra un temps à une organisation antidreyfusarde, la Ligue de la patrie française.

Du « Puy-du-Fou auvergnat » au « Puy-du-Fou provençal »

Le château de la Barben serait-il en passe de devenir une sorte de « Puy-du-Fou provençal », un avatar de l’entreprise vendéenne de réécriture de l’histoire portée depuis quatre décennies par le politicien royaliste Philippe de Villiers ? Audemard d’Alançon s’en défend. Il en reprend pourtant la recette : écrire en personne les spectacles et faire adhérer une masse de bénévoles heureux de jouer les acteurs de grandiloquentes fresques historiques.

Le trentenaire n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. Depuis 2016, il est propriétaire en Haute-Loire d’un autre château, lui aussi transformé en usine à spectacles. Jadis, la forteresse de Saint-Vidal, près du Puy-en-Velay, a résisté à l’armée d’Henri IV venue affronter la très Sainte Ligue catholique : un événement historique qui enchante Vianney Audemard d’Alançon. Lequel est appuyé moralement et financièrement, dans sa besogne de réappropriation de l’histoire, par Laurent Wauquiez, le très réac président (Les Républicains) de la région Auvergne-Rhône-Alpes et ancien maire du Puy, qui s’enthousiasme pour ce « Puy-du-Fou auvergnat ».

Les photos prises le 16 juin dernier au château de la Barben, lors de la présentation à la presse du Rocher Mistral, montrent des jeunes femmes en costume d’Ar lésiennes, accompagnées de jeunes hommes également vêtus comme au XIXe siècle. Une mise en scène qui souligne le caractère orienté du projet, mené selon une vision figée et nostalgique de la Provence. Une représentation folklorisée, tout droit tirée des écrits d’Alphonse Daudet – lequel aida Édouard Drumont à publier La France juive, son célèbre pamphlet antisémite.

À la Barben, il ne faut pas fouiller longtemps pour excaver un certain héritage d’extrême droite. Le châtelain est très fier de son grand-père maternel, qu’il présente comme un ami de Frédéric Mistral. Antoine Lestra, cet aïeul qu’il n’a pas connu, fut un avocat catholique et militant monarchiste, qui fraya un temps avec l’Action française fondée par Charles Maurras (lui-même provençal et membre du Félibrige). S’il a peut-être connu Frédéric Mistral, Antoine Lestra a plus assurément été l’ami de Léon Daudet (le fils d’Alphonse), antisémite fini et cadre de l’Action française.

Charité pour des œuvres réacs

Lyonnais, Vianney Audemard d’Alançon est un entrepre neur charitable. Avec son épouse, il a fondé une entreprise appelée Laudate, spécialisée dans la frappe de médailles de baptême. Cette société pratique l’économie de communion, qui est aux cathos capitalistes ce que l’économie sociale et solidaire est aux bobos qui font du business : une partie des bénéfices de Laudate sont reversés chaque année à des œuvres de charité à caractère idéologique. Par exemple ? La fondation Espérance banlieues, qui finance des écoles privées aux allures de cheval de Troie du goupillon dans les quartiers populaires. Une médaille Laudate vient également récompenser chaque année le concours d’affiche des Veillées pour la vie, des prières collectives contre l’avortement.

En Provence aussi, Vianney Audemard d’Alençon se présente comme un bienfaiteur. Il s’est servi du confinement pour communiquer allégrement, arguant que les 30 millions d’euros d’investissement annoncés soutiendraient 400 emplois locaux. L’argument a séduit nombre d’élus du coin, qui partagent son intérêt pour une culture provençale passéiste tout en s’inquiétant de la relance économique de leur territoire.

Ce (Rocher) Mistral gagnant débarque avec l’appui financier de plusieurs barons d’industries, dont Benoît Habert (gendre de Serge Dassault) et Vincent Montagne (patron du groupe Média Participations, spécialisé dans l’édition et la presse, dont le titre La Famille chrétienne est un porte-voix fréquent de Vianney Audemard d’Alançon).

Des croquants écolos sur sa route

Malheureusement pour l’aristocrate de la Barben, des fourches commencent à se lever au sein de la populace des Bouches-du-Rhône. Riverains et écologistes s’inquiètent en effet d’une affluence annoncée à 300 000 personnes par année dès l’été 2021. Main dans la main, la section départementale de France nature environnement (FNE 13) et la Confédération paysanne ont d’abord demandé au promoteur de revoir l’emplacement des parkings. Il faut dire que le châtelain compte faire stationner des milliers de voitures sur des terres agricoles... alors même qu’un des « piliers » du projet Rocher Mistral est de remettre plusieurs hectares de friche en culture et en pâture.

Puis l’association a eu l’outrecuidance de pousser plus loin son questionnement sur les ambitions écologistes du châtelain. Elle a par exemple jugé la foule et les spectacles sons et lumières peu conciliables avec la tranquillité et l’obscurité nécessaire aux chauves-souris et autres animaux sauvages. « Il veut faire un site mettant en valeur l’aigle de Bonelli, mais pour qu’un couple revienne dans le secteur, il faudrait qu’il y trouve du calme », pointe Alain Goléa de FNE 13.

Il n’a pas fallu plus que ces quelques croquants pour que le noble s’étrangle (que dirait-il s’il apercevait l’ombre d’un zadiste ?) : « Je dénonce fermement les propos pervers de France nature environnement, scandaleuse association qui manipule l’environnement à des fins politiques », a-t-il lâché sur Facebook. La presse sert également de réceptacle à ses coups de colère : sur France 3, il s’est ainsi offusqué « des accointances locales », qui existeraient entre les associations et la préfecture. Il faut dire que les services de l’État ont osé soumettre son projet à une étude d’impact...

Comme le Puy-du-Fou, autorisé à dépasser allégrement les jauges de public en dérogation aux règles anti-Covid, Vianney Audemard d’Alançon espérait-il que son projet bénéficie d’un traitement de faveur ? N’est pas Philippe de Villiers qui veut. Et s’il faut lui répondre sur son terrain de prédilection, rappelons au châtelain de la Barben que moult Provençaux ont été actifs durant la Révolution, pour mettre à bas le temps béni de l’aristocratie. En fera-t-il état dans son spectacle ? Rien n’est moins sûr.

Frédéric Legens

1 Dixit le site de La Provence (16/06/2020).

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