L’édito du n°172
« Tout ce que j’ai retenu dans "La Marseillaise", c’est "aux armes citoyens" ! »
Consumé par le désamour, qu’il était, le Zemmour, sur CNews le 4 décembre dernier ! Alors que la flambée poujadiste partait plutôt bien à ses débuts – « un mouvement anti-impôts, un mouvement de conservatisme culturel, un mouvement qui dénonce les migrants aux gendarmes » –, la marée des Gilets a été polluée.
Dénonçant une cinquième colonne aux ordres du grand Méluche, Zemmour faisait le constat d’une révolte qui, partie « à droite, sociologiquement et idéologiquement, est en train de finir dans un mouvement à gauche à protester contre [le retrait de] l’ISF et pour l’augmentation du Smic. On rigole ! » Jaune.
Le drapeau national et La Marseillaise, depuis des lustres objets d’un captage cocardier réactionnaire, renoueraient-ils avec leur usage révolutionnaire originel ? La Liberté guidant le peuple a-t-elle déserté le Louvre glacé pour chauffer le bitume des ronds-points ? Ce peuple des périphéries qu’on croyait définitivement confiné aux allées des hypermarchés ; ce peuple tour à tour abstentionniste ou facho, à jamais défait et aigri, indigne de l’élévation démocratique, le voilà qui devenait puissance politique. Le scoop !
Insaisissables, contradictoires, impulsifs, tactiques : les Gilets jaunes sont tout cela assurément. Plus encore : déterminés et heureux de s’être retrouvés. Ayant quitté la banlieue parisienne pour le sud de la France, David ne mâche pas son enthousiasme : « J’ai fait plus de rencontres en un mois et demi sur le rond-point que depuis six ans que je vis ici. »
Youssef est allé manifester de Lille à Perpignan. Entre deux hampes, il a cousu un tricolore bien maousse avec trois dates : 1789, 1968 et 2018. Pour l’acte IV, il était à Paname. Comme beaucoup, il dit que ça ressemblait à la guerre. Mais Youssef n’a pas eu peur. Au milieu des fumées et des pétarades assourdissantes, il avançait avec sa bannière. « Un CRS m’a foncé dessus, hurlant et matraque en l’air. Je n’ai pas cillé. Quand il a vu le drapeau au-dessus de moi, il s’est pétrifié. Finalement, il m’a contourné. » Quelle ironie ! Le fétiche tricolore devenu sauf-conduit insurrectionnel ! Reste que, comme la lacrymo, ça pique les yeux...
On ne mesurera jamais assez l’opiniâtreté qu’il faut pour peupler un rond-point. Irriguer de vie ces espaces inhospitaliers, entre froid, effluves de gasoil, coups de klaxon et rondes de flics. Debout autour d’un feu de palettes, les nuits sont longues. Alors quand on parle du devenir du mouvement, Youssef désigne ses camarades « gilets ». Cette communauté qui a su briser plus d’un repli sur soi. Et il le dit tout net : « Même si on perd, on a déjà gagné. »
Le titre de cet édito est tiré d’un graffiti récemment aperçu. Après publication, un lecteur nous a signalé que cette phrase figurait aussi dans les paroles d’un titre de hip-hop, Arrêt du cœur, de Kaaris et Kalash Criminel (2016).
Cet article a été publié dans
CQFD n°172 (janvier 2019)
Trouver un point de venteJe veux m'abonner
Faire un don
Paru dans CQFD n°172 (janvier 2019)
Dans la rubrique Édito
Par
Illustré par Cécile Kiefer
Mis en ligne le 04.01.2019
Articles qui pourraient vous intéresser
Dans CQFD n°172 (janvier 2019)
Derniers articles de L’équipe de CQFD