Brûler Mickey
Souris, c’est l’émeute
Avril 1992. La « souris noire » mord dans le fromage hexagonal. Dit autrement : Euro Disney pose ses parpaings roses en marge de Paris. Et avec la multinationale de tonton Walt le facho s’installe une vile créature vouée à grignoter les imaginaires : Melmoth. Ce jour maudit, raconte Sabrina Calvo, les festivités sont d’ailleurs presque « gâchées » par l’immolation d’un employé du parc souhaitant lancer l’alerte : Mehdi, le frère de Fi, la narratrice de ce furieux roman. Alors voilà, rien d’étonnant à ce que des années plus tard, ladite Fi garde une certaine rancœur envers l’empire de la souris : « Me prend soudain l’envie d’aller brûler Euro Disney », lance-t-elle. Dont acte.
Ouvrir Melmoth furieux, c’est entrer en galopant dans un monde ressemblant diablement au nôtre et pourtant totalement recousu, pour le meilleur et pour le pire. Le pire : cette créature démoniaque de parc d’attractions, les geôles souterraines de Disney, le règne de la totalitaire « Métrique » et de ses milices aux trois cercles noirs. Le meilleur : une nouvelle Commune juchée sur les hauteurs de Belleville, des hordes d’enfants batailleurs, des poètes armés de canards à trois pattes, la pulsation d’un quartier en lutte contre les forces de l’uniformité, bigarré, rapiécé, dansant sur les décombres.
Évoquant le geste désespéré de feu son frère, Fi parle de « fission ouverte d’un atome en plein cœur de l’imaginaire ». Par les flammes, il a ouvert un chemin qui se serait frayé un passage jusqu’à cette nouvelle Commune dans laquelle elle revit, se sent pousser des zèles. Fi est couturière, mais pas du genre classique, plutôt du genre guerrière. Voire magicienne. Avec ses camarades de la Filasse, elles s’activent pour offrir de nouvelles peaux aux combattant·es. Et avec les « têtards », enfants des rues partageant sa demeure-squat, Pifou, Lou, bz et compagnie, elle tricote un autre quotidien, un refus de la mortifère réalité.
Au cœur de Melmoth furieux, il y a l’irruption de cet ennemi absolu visant les imaginaires, doté d’« armes nouvelles qui touchent ce que nous avons de plus précieux – nos rêves ». La réplique à cette offensive ne peut être que du même tonneau : en bordure de rêve. Et arc-boutée sur la défense d’une singularité qui ne saurait se marchander – « Juste parce qu’on veut pas remplir leurs putains de petites cases juste parce qu’ils nous auront pas avec leur mise en mesure leur compétition leurs algorithmes et leurs caps et leurs axes et leurs carnets de route et leurs profits et leur putain de chierie de Métrique parce qu’on est comme de l’eau on s’échappe on s’échappe parce que la vie bordel. »
C’est foisonnant. C’est bordélique. C’est lyrique à souhait. C’est entre Debord, Damasio et Villon. Et c’est d’autant plus recommandé que la plume de Sabrina Calvo insufflerait la niaque au plus dépressif des pélicans mazoutés. Car malgré les nuages de tonfas et de ruines reste la vision d’une insurrection déglinguée toujours prête à ressurgir : « Les vivats emporteront tout, le vent même semblera traverser ces cours qui se repeuplent. On célébrera la liberté sur notre passage, pétales de weed et myrrhe. Debout sur le char de tête, bz et Lou danseront. Je les regarderai, assise, reprisant leur seconde peau. Nos costumes seront faits d’une étoffe qui n’a pas de nom. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°205 (janvier 2022)
Dans ce numéro vert de rage, un dossier « Pour en finir avec une écologie sans ennemis ». Mais aussi : une escapade en Bosnie en quête d’étincelles sociales, l’inaction crasse du gouvernement envers les femmes handicapées, l’armée qui s’incruste à l’école, des slips chauffants, des libraires new-yorkais atrabilaires, des mômes qui attaquent Disneyland…
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Paru dans CQFD n°205 (janvier 2022)
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Mis en ligne le 14.01.2022
Dans CQFD n°205 (janvier 2022)
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