S’il vous plaît, dessine-moi un horizon

Avec son roman Là où le feu et l’ours (Libertalia, 2021), Corinne Morel Darleux, familière de nos colonnes, fait feu imaginatif de tout bois, entre Alice aux trousses du lapin blanc et Petit Prince libertaire.

Première comète propulsée dans le récit, il y a cette jeune fille qui s’appelle Violette et sympathise avec des ours terrés dans une tanière. S’ensuit une errance dans le désert en quête de tribus, puis une arrivée dans une oasis hissant le drapeau pirate. Déboulent derrière une palanquée de cavaliers patibulaires, de hiboux, de sages singes et de frangipaniers – tout un univers foisonnant, qui s’adresse aussi bien aux grands enfants qu’aux petits adultes.

« Tout est vrai », écrit pourtant celle qui évoquait dans notre dernier numéro le pouvoir de l’imaginaire animalier 1, une fois le récit terminé, dans une sorte de postface faisant office de « glossaire, symbolique et coulisses ». Une affirmation en forme de belle pirouette, résumant bien l’ambition portée par ce premier roman gorgé d’onirisme chatoyant et d’horizons émancipateurs – Là où le feu et l’ours.

« Tout est vrai ». Et après tout, pourquoi pas ? Les histoires contées dans ces pages, celle de Violette sillonnant le désert avec ses compagnons ours, celle de Princesse Cheyenne les accueillant dans une oasis aux faux airs de Zad, celle d’un monde essoré, cramé, où de nouvelles formes d’alliances avec le vivant composent un antidote à la catastrophe, et celle, in fine, d’un univers où enfants et femmes reprennent les commandes, composent toutes un arrière-fond foncièrement terrestre, où tout se tient, fait sens. Rien de galactique ou d’extra-terrestre là-dedans, simplement une redistribution des cartes laissant plus de place à la poésie, à la sensibilité et aux galops de la nature.

Car si « tout est vrai » dans ce texte, du « bruissement des toucans » à « la course des margays dans les arbres à kapok », c’est à l’aune d’une approche de la fiction comme territoire d’expérimentation et d’utopie. De l’autre côté de ce miroir, il y a certes des drames, des doutes, des défaites et des amnésies envahissantes, mais aussi l’exorcisation d’un asphyxiant présent par cet univers rêvé où les artefacts pesants de la modernité sont évacués – le désert ou la forêt pour moteurs, pas les écrans ni le spectacle.

« Je me suis mise à écrire avec une envie féroce de grands espaces arides et de végétation luxuriante », explique en fin d’ouvrage celle dont l’essai Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce (Libertalia, 2019) mettait en lumière la capacité de l’imaginaire (littéraire en premier lieu) à endiguer l’effondrement généralisé. Plongeant dans le bain fictionnel avec ses camarades ursidés, elle a clairement rempli sa mission, barbotant gaillardement avec les saumons de l’utopie. Un pur bol d’ère.

Émilien Bernard

1 « De l’émerveillement à la lutte », CQFD n° 198 (mai 2021).

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