Vingt minutes suffisent à priver un homme de sa liberté
La comparution immédiate est une procédure accélérée qui permet de faire juger quelqu’un juste après sa garde à vue. Depuis plusieurs décennies, le recours à ce dispositif pénal s’est généralisé. Les gouvernements français s’en servent pour gonfler les chiffres de leurs politiques sécuritaires. À la base cantonnée à la catégorie restrictive du flagrant délit, on peut désormais être jugé en comparution immédiate pour la plupart des délits.
Cette procédure s’est aussi révélée une vraie arme de répression massive lors des mouvements sociaux de ces dernières années. En 2005, lors des émeutes dites « de banlieue » qui ont fait suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, plus de 400 personnes ont été condamnées par ce biais en moins d’un mois. Du côté du mouvement des Gilets jaunes, ils sont plus de 3 000 à être condamnés entre 2018 et 2019, dont un tiers à des peines de prison ferme. De manière générale, la procédure de « compa » augmente la probabilité d’être incarcéré, participant à l’augmentation de la surpopulation carcérale. En France, le nombre de prisonniers a doublé depuis les années 1980.
[|Punir les pauvres|]
Les comptes rendus d’audience sont glaçants par leur sobriété, la rapidité du déroulé de la séance et la disproportion entre la peine encourue et les faits reprochés, souvent minimes. Comme l’écrivent les auteurs du livre : « On passe l’après-midi, là, mal à l’aise, à regarder des bourgeois juger des pauvres et les envoyer en prison. »
L’enquête sociale rapide – dispositif censé humaniser le prévenu en informant le juge de sa situation personnelle, familiale et professionnelle – se borne souvent à dresser un simple portrait-robot dont ressort surtout l’absence criante de garanties de représentation [1] : certains prévenus ont déjà un casier, et la plupart sont sans emploi, à la rue ou en situation irrégulière. L’évidence de leur détresse psychique, de leur précarité extrême et de leur appartenance aux classes défavorisées et racisées, pire que de ne pas jouer en leur faveur, leur porte préjudice.
Alors que certains échappent à la case prison parce qu’ils sont blancs, ont un emploi et/ou sont diplômés, les autres ont peu de chances de l’éviter tant la procédure est bien rodée. Beaucoup n’ont bien souvent pas eu le temps d’échanger avec leur avocat et ne savent pas qu’ils peuvent refuser d’être jugés immédiatement – même si la détention provisoire devient quasi systématique. Certains ne comprennent pas les questions qui leur sont posées, le tribunal n’ayant pas jugé nécessaire de mobiliser les services d’un interprète malgré leur maîtrise plus ou moins aléatoire de la langue française.
En refermant l’ouvrage, on réalise qu’à peine vingt minutes suffisent à priver un homme de sa liberté. L’absurdité de l’enfermement, comme réponse d’une société qui se débarrasse ainsi de ses individus les plus pauvres et plus marginaux, laisse sans voix.
[/Claire Feasson/]