Dossier « L’Histoire comme champ de bataille »
Octobre 61 pour mémoire
Daniel Kupferstein 1 a pointé du doigt les raisons du silence et de l’oubli auxquels ont longtemps été cantonnées les ratonnades policières des 14 juillet 1953 et 17 octobre 1961. En 1953 et 1961, ce sont des colonisés, des Algériens, qui ont été abattus. De plus, celle de 1953 est antérieure à la création du FLN et ne figure pas dans la martyrologie officielle algérienne. En revanche, concernant la manifestation pour la paix en Algérie de février 1962, la mémoire est immédiate car « les morts sont des Français ». Et le PCF et la CGT avaient encadré la manif, ce qui explique le million de personnes qui défileront pour les obsèques des neuf morts de Charonne.
D’une certaine manière, Charonne occulte octobre 1961. Fin 1961, il n’y eut qu’une seule protestation publique, celle du comité Audin animé par l’historien Pierre Vidal-Naquet. Un film a bien été réalisé en 1962 par Jacques Panijel, Octobre à Paris, mais il a régulièrement été saisi par la police lors des projections, avant de souffrir de la censure et d’une absence de diffusion. Ce n’est qu’en 1983 que Didier Daeninckx publie un polar inspiré du drame, Meurtre pour mémoire, vendu à plus de 400 000 exemplaires. Puis, en 1984, le militant anticolonialiste Georges Mattéi témoigne dans un touchant reportage de Marcel Trillat, diffusé sur Antenne 2 : « Le peuple de Paris, ce soir-là, s’est transformé en indicateur de police, en auxiliaire… » Le livre de Jean-Luc Einaudi La Bataille de Paris sort en 1991. Quant au documentaire autoproduit Le Silence du fleuve, d’Agnès Denis et de Mehdi Lallaoui, il n’est diffusé qu’en 1992.
En fait, il faudra surtout attendre le procès pour diffamation intenté à Einaudi par Maurice Papon, en 1999 – dont l’ancien préfet de police de Paris sort débouté –, pour que les yeux d’une opinion publique incrédule se dessillent sur ce massacre d’État.
1 Réalisateur du documentaire Les Balles du 14 juillet 1953 (2014) et auteur du livre éponyme paru à La Découverte en 2017, ainsi que des documentaires 17 octobre 1961, dissimulation d’un massacre (2001) et Mourir à Charonne, pourquoi ? (2010).
Cet article a été publié dans
CQFD n°161 (janvier 2018)
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Paru dans CQFD n°161 (janvier 2018)
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Mis en ligne le 15.03.2019
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