Dossier : Debout partout
Marseille : Un Pastis... bien noyé !
Les délégués des syndicats CGT en avaient gros sur la patate et ils l’ont dit fin avril (2016) à Marseille. Ils ont hué Thierry Lepaon, mais aussi les représentants de la CFDT ou du PS, et le bureau du congrès à maintes occasions. Ils ont applaudi le PCF, mais aussi le PG, l’Unef et même LO et le NPA... Ils ont découvert une vieille chanson de Georges Moustaki, écrite en 1969, dont le titre est aussi rébarbatif qu’un document de congrès – « Je voudrais sans la nommer vous parler d’elle ». Cette rengaine est bien connue, mais des seuls militants anarchistes et trotskystes ! Elle fut écrite à la gloire de la « révolution permanente », ce concept anti-stalinien qui s’opposait à « l’étapisme » des PC et à la théorie du « socialisme dans un seul pays »... C’est pourtant avec le groupe musical Zabo que les congressistes ont ouvert et clos leurs travaux, les paroles défilant sur écran géant pour un karaoké révolutionnaire. Le PCF a toujours eu ce talent pour récupérer et dénaturer les symboles révolutionnaires dont il avait combattu l’aventurisme. Après Guevara, Moustaki...
Les délégués n’allaient pas laisser retomber la température. Plus votre attaque était forte et plus l’ovation de la salle vous était garantie. Au-delà de Lepaon, c’est tout le fonctionnement de la direction confédérale qui est critiqué. Qui a profité des surfacturations de l’appartement de Vincennes, demande une déléguée ? Pourquoi n’avons-nous pas su mobiliser contre les lois Macron et Rebsamen ? Pourquoi les textes sont si pauvres sur le démantèlement des services publics à travers la réforme territoriale et celle du statut de la fonction publique ? Les votes du bilan d’activité, du bilan financier et du document d’orientation portent les traces d’une énorme colère et d’une profonde défiance : jusqu’à 14% d’abstention et 31% de contre, du jamais-vu !
C’est sur la motion d’actualité que le bras de fer entre la direction et la salle fut le plus rude, obligeant le bureau du congrès à avancer le vote de vingt-quatre heures. Grève générale ou reconductible, à tout le moins l’affirmation claire de sa brûlante nécessité. C’est un délégué de Rouen, inspecteur du travail, qui remporte l’applaudimètre avec une standing ovation, la salle reprenant son cri : « Tous ensemble, tous ensemble, grève générale ! » Malgré la pression exercée sur le bureau du congrès qui avait refusé d’ouvrir une traditionnelle commission de rédaction, le texte présenté au vote en reste strictement aux décisions de la direction : la reconduction de la grève sera soumise aux AG et rien de plus pour conforter les militants et donner confiance aux salariés pour s’engager. Déçus par la timidité de la résolution, largement adoptée sans aucun amendement, là aussi, de nombreux délégués s’abstiennent et certains votent contre. Bousculé mais inébranlable, l’appareil démontre sa puissance.
Le vote pour la nouvelle direction confédérale va confirmer la capacité de l’appareil à fabriquer du consensus. Après avoir refusé d’ouvrir la commission aux délégués, le bureau du congrès propose une liste inchangée. Sans le moindre débat politique, des dirigeants sont éconduits, reconduits ou introduits et personne ne pose de question en termes d’orientation, pas même les éconduits, alors que certains obtiendront, hors liste officielle, jusqu’à 10% des voix. Le vote des délégués est paradoxalement un vote à l’ancienne, le plus mal élu obtenant tout de même 84%. Comme si tout le monde s’était défoulé lors du débat et des votes mais que chacun était pressé de tourner la page de la crise de direction. Une volonté aussi de donner une chance à l’équipe sélectionnée autour de Martinez.
En sortant grand vainqueur de ce congrès difficile, Martinez ne peut ignorer que la défiance persiste dans les syndicats et qu’il sera jugé, très vite, sur son comportement dans le conflit sur la loi travail. Une nouvelle crise s’ouvrirait inévitablement si la direction confédérale portait aux yeux des militants la moindre responsabilité dans une éventuelle défaite. La barre est haute : celle du retrait pur et simple de la loi El Khomry. La « gauchisation » de la CGT dénoncée dans la presse sera-t-elle l’heureuse réalité de mai ?
Cet article a été publié dans
CQFD n°143 (mai 2016)
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Paru dans CQFD n°143 (mai 2016)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Martin Barzilai
Mis en ligne le 11.04.2018
Dans CQFD n°143 (mai 2016)