Peine perdue

Le maton qui guette (en moi)

Luno est bénévole en prison et nous en livre un aperçu chaque mois. Un regard oblique sur la taule et ses rouages, par quelqu’un qui y passe mais n’y dort pas. Deuxième épisode : que des fachos dans ces quartiers (pénitentiaires).

Il y a quelques années, je suis tombé en stop sur un fonctionnaire du Spip. Le Spip c’est un service pénitentiaire d’insertion qui porte le même nom que l’écureuil de Spirou – ce qui est assez chou, mais la comparaison s’arrête là. Le gars m’avait confié qu’il venait de quitter la prison où il bossait parce qu’elle était « gangrénée par une équipe de matons fachos ». Selon lui, c’était de notoriété publique dans l’AP1, les gardes-chiourme s’organisaient pour faire recruter leurs potes, ce qui avait fini par rendre l’atmosphère particulièrement nauséabonde. Lui était parti pour un poste en « milieu ouvert », dépité.

J’avais appris deux trucs dans cette bagnole : d’abord qu’il existait des Spip de gauche qui écoutent les Bérus et qu’il y avait des prisons encore pires que les autres. Cette image du gang de fafs en uniforme bleu me hantait sans pour autant me surprendre totalement. Dès que j’ai pu, je me suis donc tourné vers la meuf du Spip de la Maison d’arrêt où j’interviens :

« – T’en penses quoi toi, Dominique, de cette histoire ? C’est vrai qu’il y a des prisons connues pour être des repaires de matons fachos ?

– Oh fachos, fachos, a-t-elle commencé par grommeler comme si j’exagérais. Ils sont tous un peu fachos, tu sais ! Ici c’est probablement du 100 %... Après il y a ceux avec qui on peut quand même blaguer, et puis les autres. »

Merde alors ! Mais, elle fait comment Dominique ? Elle qui a l’air si sympa avec son grand sourire coiffé d’un charmant bégaiement. Elle qui vient du militantisme écolo... Elle fait comment pour aller bosser tous les matins et dire bonjour, salut, merci, bonne année, à lundi ? Forcément, quelque part, elle a dû se faire ronger par l’ambiance générale, abdiquer des choses !

J’en étais là, à me demander s’il était possible de circuler longtemps en taule sans finir par soi-même penser comme une porte à barreaux, quand j’ai eu un début de réponse. Je discutais avec un détenu à peine majeur, « primaire », c’est-à-dire emprisonné pour la première fois. C’était la fin de notre atelier jeux de société et je lui ai souhaité bon week-end, bon courage. C’est là que j’ai capté, en me retournant, qu’il m’avait chouré un jeu de cartes. Je ne sais pas ce qui m’a pris mais je l’ai rattrapé dans le couloir pour lui demander s’il n’avait pas oublié quelque chose. Le môme a baissé les yeux et sorti le paquet de la poche de son survêt’ Tacchini. Entre temps, j’avais repris mes esprits, mais c’était déjà foutu : derrière moi un surveillant déboulait, curieux. Il valait mieux que tout ça rentre dans l’ordre rapidement. Le détenu a marmonné qu’il n’avait pas fait exprès, j’ai répondu moi non plus, ce qui ne voulait rien dire dans le contexte. Le surveillant a détourné les yeux, gueulé « casqueeette ! » pour qu’un type dans l’escalier la retire et nous a oubliés. Tout était fini. J’ai regardé mon pauvre jeu de cartes et j’ai eu salement envie de chialer : je n’étais pas devenu maton mais déjà un bon vigile.

Luno

Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.

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1 L’Administration pénitentiaire, couramment abrégée AP.

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CQFD n°247 (décembre 2025)

Si le dieu capitaliste adore les festivités de Noël, les victimes d’inceste, elles, se mettent en mode survie pendant le mois de décembre. Contre la mécanique du silence de ce système de domination ultraviolent envers les enfants, on a décidé de consacrer notre dossier du mois à ce sujet. On en a parlé avec la plasticienne et autrice Cécile Cée, victime d’inceste, qui milite pour sortir l’inceste du silence, puis nous sommes allé·es à la rencontre de témoins, co-victimes, d’inceste au rôle primordial. On fait un zoom sur les spécificités des récits littéraires de l’inceste ainsi que sur l’échec de la justice à protéger les enfants et les mères protectrices. Hors dossier, on fait le point sur un texte de loi qui a permis l’expulsion de Reda M., pourtant victime des effondrements de la rue d’Aubagne, et la docteure en anthropologie Aline Cateux évoque les 30 ans des accords de Dayton dans un entretien sur la Serbie.

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